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antipathie contre Necker qu’un jour, un prêtre ayant parlé de Dunkerque, il s’enfuit à toutes jambes croyant qu’on avait prononcé le nom du ministre ; ni de l’archevêque de Bordeaux, Champion de Cicé, qui, dans ses projets de restauration, pensait qu’on devait commencer par la restitution des biens ecclésiastiques. Son collègue, l’archevêque d’Aix, Boisgelin, d’une âme plus douce, ne pouvait cependant ni le voir ni même se trouver à côté de lui. Un jour, à une cérémonie funèbre, s’apercevant que Mgr de Bordeaux était présent, il s’était levé précipitamment au milieu de l’église pour le laisser seul.

Pendant la durée des négociations du concordat, l’hésitation continua. On peut consulter utilement, sur ce point de l’histoire ecclésiastique, le Mémoire des évêques résidant à Londres, qui parut en 1802. Nous revenons à Montlosier. Il accepta une mission dont l’objet était de proposer à Bonaparte une souveraineté en Italie, s’il voulait favoriser le rétablissement des Bourbons. Ce n’était sans doute qu’un prétexte pour approcher le premier consul.

Arrêté à Calais, conduit à Paris, enfermé au Temple, d’où Fouché le fit sortir au bout de trente-six heures, il reçut l’ordre de retourner sous dix jours en Angleterre et de ne plus s’occuper de sa négociation. Pendant ce court séjour à Paris, Talleyrand, devenu ministre des affaires étrangères, le reçut plusieurs fois, lui exposa la politique du premier consul, ses intentions de rendre aux émigrés leurs biens non vendus et de rétablir l’église catholique.

Montlosier était de plus en plus exaspéré des injustices et des fautes de l’émigration. Il avait revu la patrie et ne voulait plus désormais vivre loin d’elle. Il revint donc en Angleterre avec le ferme désir de ne plus y résider que quelques semaines. L’esprit et le ton du Courrier de Londres se modifièrent. Quel ne fut pas l’étonnement des royalistes lorsque dans le numéro du 6 juillet on lut la phrase suivante : « Toute la France civile et politique est aujourd’hui dans un seul homme. Quelles que soient nos prétentions publiques ou nos vœux secrets, c’est d’un homme qu’il faut tout attendre ; c’est à un homme qu’il faut tout demander. »

La situation de Montlosier devenait intolérable. Il contrariait à la fois la politique du gouvernement anglais et rompait violemment avec l’émigration. Il obtint sa radiation de la liste des émigrés et vint en 1801 établir son journal à Paris. Une transformation rapide et absolue des mœurs, des conditions, des usages s’était opérée. Une société entièrement nouvelle grandissait ; en quelques années,. le vieux monde avait disparu.


A. BARDOUX.