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deux pour en faire des échalas » était, en ce moment, le plus sûr moyen de gagner leurs suffrages. Les dix commissaires furent élus sans contestation ; le vieux Démos les investit de ses pleins pouvoirs. Au jour fixé, le morose vieillard vint s’asseoir de nouveau sur les bancs de pierre du Pnyx, « avec son outre, son pain, sa petite provision d’ail, d’oignons et d’olives, » en vrai Palikare qu’il était. Les dix délégués comparurent alors devant sa toute-puissance ; c’était au peuple d’Athènes de juger et d’approuver, s’il le trouvait bon, leur œuvre. Le comité de législation, malgré la hâte extrême qui lui était imposée, n’avait pas fait les choses à demi. Il proposait « d’abolir toute magistrature conférée par l’ancien ordre de choses, de supprimer les emplois salariés et de confier l’autorité suprême à quatre cents citoyens. » Ce gouvernement des quatre cents, — tel est le nom qu’il porte dans l’histoire, — s’installa sans encombre. Il rencontra si peu d’opposition qu’à part quelques exécutions clandestines, quelques condamnations à l’exil ou aux fers, il n’eut pour ainsi dire pas à user de rigueur. Le point difficile n’est jamais de se faire accepter; les embarras commencent quand il faut justifier les grandes espérances qu’on a fait naître. Le peuple d’Athènes voulait la paix; il eût été dangereux de ne pas prendre au sérieux son impatience. Les quatre cents envoyèrent donc sur-le-champ au roi Agis, qui continuait d’occuper Décélie, un héraut chargé de déclarer le véhément désir qu’éprouvait le nouveau gouvernement d’arriver à une prompte réconciliation. Agis ne se contenta pas de faire le plus froid accueil à cette ouverture. Dès qu’il sut qu’une révolution venait d’éclater dans Athènes, il se mit en mesure d’en profiter. « J’irai, dit-il, porter moi-même ma réponse aux Athéniens, » et, sans perdre un instant, il fit mander en toute hâte des troupes du Péloponèse. Quand il se crut en force, il descendit de Décélie dans la plaine à la tête de son armée. Le roi de Lacédémone heureusement se trompait; Athènes n’était pas livrée à l’anarchie. Les soldats du Péloponèse ne rencontrèrent pas des citoyens divisés, prêts à leur ouvrir les portes de la ville ; ce qui vint à eux ce fut des cavaliers, des hoplites, des archers, des peltastes, qui culbutèrent leurs postes avancés et obligèrent Agis déconcerté à battre précipitamment en retraite. Les quatre cents avaient ainsi prouvé qu’ils étaient un gouvernement; Agis consentit à laisser passer l’ambassade qu’ils envoyèrent à Lacédémone pour y négocier, s’il était possible, un accord.

Croit-on que ces conspirateurs heureux, maîtres dans Athènes, en possession d’une trêve qui pouvait conduire à la paix, en fussent pour cela plus tranquilles? Le succès du moment avait-il la vertu de les étourdir sur la gravité de la situation ? Non ! Les quatre cents ne se faisaient. pas d’illusions et nul ne savait mieux qu’eux à quel