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toi ; il me serait difficile de t’exprimer la joie que j’ai ressentie en recevant la lettre du comité de salut public, dont je t’envoie copie ; mais l’idée de te trouver malade m’afflige. J’aime à croire pourtant que cela ne sera rien et que tu seras bientôt rendu à l’armée et à tes amis. J’allégerai tes travaux et te seconderai de toutes mes facultés. »


Jourdan en effet avait repris son commandement avant même l’arrivée de Kléber, qui dans l’intervalle avait été nommé à l’armée du Rhin en attendant l’arrivée de Pichegru. Kléber, qui n’avait accepté cette nouvelle destination qu’à contre-cœur, rejoignit l’armée de Sambre-et-Meuse au moment où la paix ayant été signée avec la Prusse, le 5 avril 1795 ; on se préparait à continuer vigoureusement la guerre avec l’Autriche.

À l’armée de Jourdan, Kléber avait repris le commandement de l’aile gauche, qui était chargée de passer le Rhin. Sentant pour une opération aussi importante la nécessité de s’entourer d’officiers de choix, il s’adressa à Gillet, qui venait d’être nommé membre du comité de salut public et donne à cette occasion la mesure exacte de ses sentimens politiques :


« Je te félicite de tout mon cœur, mon cher ami, que ton destin ait veillé à ta conservation dans les premiers jours de prairial (1er prairial, 20 mai) au milieu des assassins de la convention, au fer desquels tu as été plus particulièrement exposé par la nature des fonctions que tu as à remplir. Si tous les bons citoyens ont frémi d’horreur en apprenant cet attentat, c’est avec joie et satisfaction qu’ils ont considéré la victoire que vous avez remportée sur les terroristes. Profitez de vos succès pour les anéantir. Mais il faut aussi des mesures répressives contre les royalistes, qui se démasquent impudemment dans tous les départemens. Pourrions-nous consentir, mon ami, après une révolution aussi étonnante que celle à laquelle nous travaillons depuis sept ans, après quatre campagnes de fatigues, de privations, mais de gloire, à reprendre un maître ? Nos sacrifices, nos maux, presque autant que les principes, doivent nous attacher à la liberté.

« Si je suis destiné à pisser le Rhin, mon cher Gillet, pour entrer dans le duché de Berg, ainsi que cela paraît être décidé, nous n’aurons dans nos marchés qu’une langue étroite de terrain qui ne soit pas neutralisée. Tout ce que nous pourrions en tirer serait insuffisant pour faire subsister le corps d’armée chargé de cette expédition, et les inconvéniens de s’approvisionner dans les pays neutres ne sont pas de peu d’importance. Il faudrait à la suite des trésors en numéraire, ou un agent du gouvernement avec chaque colonne, pour traiter des achats nécessaires ou même des indemnités à accorder aux particuliers, dans le cas où il faille passer dans ces pays.