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Cyrus cependant n’a pas fait un si mauvais marché qu’on serait porté au premier abord à le croire. Une trière armée de deux cents hommes pour 4,000 francs par mois ! Jamais Gênes ou Venise n’ont fourni de galères à ce prix, et l’or, au moyen âge, avait, si je ne me trompe, une tout autre valeur qu’au temps d’Alcibiade, de Lysandre et de Darius II. Mais à quel taux, m’objecterez-vous peut-être, Guillaume-Pierre de Mar louait-il donc à Philippe le Bel, en l’année 1294 de notre ère, les services de ses compagnons? A un taux beaucoup moins élevé, je le confesse : 360 livres tournois par mois pour chaque galée. Seulement Guillaume de Mar ne fournissait que les équipages : cent soixante hommes par navire. « Nous armerons au roi, disait-il, trente de ses galées de Provence. » Il n’avait à sa charge que « les gages et les viandes desdits hommes; » c’était au monarque qu’il appartenait de construire les navires, de les équiper et de « les garnir d’armures.» Quand le nolis devait tout comprendre, — coque, agrès, armement, archers et mariniers, — le loyer mensuel de la galée s’élevait à la somme de 900 florins d’or. À ce taux, « Ayton Dorea de Gennes, » en l’an 1337, « promit servir le roy de France pour sa guerre à autant de galées comme le roy voudrait. » Si le florin d’or, comme je le présume, valait à cette époque 13 francs 48 centimes, Cyrus entrait dans la querelle d’Athènes et de Sparte à bien moindres frais que Philippe de Valois dans celle de l’Ecosse et de l’Angleterre. Pour la somme de 12,000 francs environ, ce n’est pas une galée que les Spartiates auraient mise en mer; le prince eût pu en exiger trois. Considérons d’un autre côté Guillaume de Mar et Lysandre. Il faut 4,000 francs à Lysandre pour la solde d’un seul équipage ; Guillaume de Mar n’en réclame que 360, et encore se contentera-t-il « de la moitié de tout ce qu’il pourra gagner sur mer et sur la terre des ennemis, sauf villes, châteaux et forteresses. » Où veux-je en venir? me demandera-t-on. Quelle conclusion arriverai-je à tirer de tous ces rapprochemens? Je vais, sans vouloir insister davantage, vous le dire : il me semble qu’on est en droit de conclure des conditions si différentes auxquelles on obtenait, vers la fin du moyen âge et pendant les dernières années du Ve siècle avant notre ère, « des galées et des compagnons, » qu’au moyen âge la construction et l’équipement du navire constituaient la principale dépense, que chez les Grecs, au contraire, la trière comptait pour peu de chose. On la construisait en quelques jours; on la munissait d’agrès sans avoir besoin de faire une bien grande saignée au trésor, car Polybe, dont je ne crois pas, il est vrai, un traître mot, prétend que les cheveux des dames de Carthage suffirent, vers la fin de la troisième guerre punique, pour gréer une flotte. La solde en revanche mettait à une rude épreuve les finances