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L’ÎLE DE CYPRE.

par un insensible changement, le visage, modelé toujours avec beaucoup de soin, avec une précision qui n’est pas exempte de sécheresse et de froideur, nous offre à peu près partout des variantes d’un même type, assez arrêté et assez constant pour que l’on ait pu le définir sous le titre de type cypriote ; aujourd’hui même, affirment les voyageurs, on le rencontre souvent encore dans l’île, parmi les Grecs ; le sang serait resté pur dans certaines familles, et les traits des ancêtres lointains s’y reproduiraient parfois avec une singulière persistance. Nous avons cité M. Pieridis, de Larnaca, comme l’un des hommes qui, dans ces dernières années, ont rendu le plus de services à l’étude des antiquités cypriotes ; ôtez-lui son fez et sa redingote, nous disait-on, coiffez-le du bonnet assyrien ou de la couronne de narcisses, frisez-lui la barbe et les cheveux, habillez-le de la robe asiatique ou du peplos grec, et vous aurez l’illusion d’une statue de Golgos ou d’Idalie qui serait descendue de son piédestal, d’un contemporain de Sargon ou d’Évagoras qui ressusciterait en plein XIXe siècle.

Les traits distinctifs qui caractérisent ce type, les voici tels qu’ils se dégagent d’une étude comparative de tous ces monumens. Le crâne est haut, la tête étroite, le front un peu fuyant. Les yeux sont grands, à fleur de tête, et sensiblement relevés aux angles externes, les pommettes saillantes et les joues souvent creuses. Le nez est fort et gros du bout, en forme d’œuf ; le menton saillant et lourd. La bouche, petite et lippue, a quelque chose de sensuel. À tout prendre, ce type manque d’élégance et de noblesse ; il n’a ni l’air honnête et grave des figures égyptiennes, ni l’énergie un peu dure des assyriennes, ni cette pureté de lignes que l’art grec recherche dès ses débuts et que l’on devine même dans la naïve inexpérience de ses premiers ouvrages. Ces visages n’ont pas de finesse ni de fermeté ; ils respirent une certaine mollesse un peu pesante qui s’accorde fort bien avec l’idée que l’histoire nous donne de cette race, avec ce qu’elle nous apprend de sa vie et de ses mœurs.

Plus ou moins marqués, ces traits se retrouvent dans toutes les figures de cette série ; mais ici l’artiste ne se contente pas, comme le fait par exemple le sculpteur assyrien, de saisir et de rendre, d’une main persistante et sûre, les caractères constans d’un type national. Cette vérité abstraite et générale ne lui suffit point ; il aspire à y joindre, dans une certaine mesure, la vérité particulière, la représentation de l’individu avec ce qui le distingue de ses compatriotes et de ses contemporains. Tous ceux qui ont étudié ces têtes recueillies parmi les décombres ou dans le voisinage des anciens sanctuaires de l’île en ont reçu la même impression : elles se