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pour figurer les articulations de leur idiome. Bien moins nombreuses et plus commodes à tous égards, les lettres cadméennes pénétrèrent à Cypre ; mais elles ne réussirent pourtant pas à y faire tomber en désuétude l’ancienne écriture, malgré sa complication et ses défauts. On continua, jusque sous les successeurs d’Alexandre et peut-être plus tard encore, à se servir de l’alphabet cypriote sur les monnaies, dans les inscriptions funéraires et votives, dans les contrats; il avait sans doute, aux yeux des insulaires, je ne sais quel caractère vénérable et sacré. Ce prestige tenait-il seulement à l’antiquité de ce système? Ne s’expliquait-il pas aussi par une origine surhumaine qui lui aurait été attribuée par certains mythes locaux dont la mémoire ne s’est pas conservée? Nous ne saurions le dire; ce qui paraît certain, c’est que les textes écrits ainsi semblaient prendre, par le fait même de cette notation, quelque chose de plus authentique et de plus solennel. Cet attachement superstitieux au passé, cette persistance dans l’emploi d’un instrument imparfait et suranné, c’est, croyons-nous, un phénomène unique dans l’histoire de la civilisation grecque.

Dans les arts plastiques, même fidélité à la tradition ; pour tout dire en un mot, même routine. Ce grand élan d’études, d’efforts et de génie qui, vers le milieu du Ve siècle avant notre ère, conduisit à la perfection l’architecture, la sculpture et la peinture grecques, ne se fit sentir à Cypre que bien faiblement et bien tard. Il faut descendre jusqu’au IVe siècle pour reconnaître dans la numismatique cypriote l’influence du style libre et noblement aisé qui règne depuis longtemps déjà dans les terres vraiment grecques, au delà des mers. Quant à ces statues qui nous ont paru être des portraits, les bases n’en portent pas d’inscriptions; il est donc très difficile de leur assigner une date même approximative. Pourtant tous les archéologues qui ont étudié cette suite de monumens s’accordent à penser que nombre de ces figures, malgré leur pose traditionnelle et leur faire si particulier, sont postérieures au temps où déjà les temples de la Grèce étaient remplis des chefs-d’œuvre d’un Phidias et d’un Praxitèle, où le ciseau si ferme et si sûr d’un Lysippe, sans sacrifier la noblesse de l’attitude et du type, savait définir l’individu par les traits qui le distinguaient de tous les hommes du même pays et du même siècle. Parfois même, à l’air de tête, à l’arrangement de la coiffure, à divers indices du même genre, on croit deviner dans certaines de ces statues des ouvrages qui ne sont guère antérieurs à la réduction de l’île en province romaine et dont quelques-uns peut-être dépassent ce terme; pourtant, jusque dans ceux qui semblent les moins anciens, vous retrouvez encore quelque chose du style et de la touche des plus anciens monumens de la sculpture cypriote, vous sentez se perpétuer