Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 33.djvu/413

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
407
L’ÎLE DE CYPRE.

les Grecs, mais sur le fond même de leurs idées et de leurs conceptions religieuses. Ici le rôle de Cypre paraîtrait encore plus actif et plus prépondérant. Quiconque aurait l’ambition de jeter quelque jour sur cette question encore si mal éclaircie devrait, après avoir constaté l’origine syrienne de la grande déesse de Cypre, chercher à en définir avec précision le caractère historique et à savoir si les principaux des traits qui la distinguent ne se retrouvent pas chez une ou plusieurs des divinités du panthéon hellénique. C’est ce qu’a tenté, dans un travail récent, l’un des savans les plus éminens de l’Allemagne contemporaine, M. Ernest Curtius, l’auteur de cette belle histoire grecque qui a été traduite dans toutes les langues de l’Europe, sauf en français[1]. À la fois épigraphiste, archéologue et philologue, aussi familier avec les monumens figurés qu’avec les chefs-d’œuvre de la littérature, cet érudit était mieux préparé que personne à cette tâche ; les idées qu’il a exposées à ce propos, dans une brillante esquisse qui deviendrait aisément tout un livre, tiennent de trop près au sujet qui nous occupe pour que nous n’essayions pas de les résumer avant de nous éloigner des rivages de Cypre et d’en voir les sommets décroître à l’horizon.


IV.

L’emploi de la méthode historique a renouvelé, de notre temps, l’étude de l’antiquité sous presque toutes les formes, l’histoire des institutions comme celle de l’art, comme l’étude même des langues. L’étude de la mythologie est celle où ce progrès s’est fait jusqu’ici le moins sentir ; dans les manuels qui traitent de cette science, on aime encore à se représenter le monde des divinités grecques comme un système complet dont on n’explique point l’origine et que l’on considère comme ayant duré sans changement appréciable pendant de longs siècles. Les contours arrêtés sous lesquels nous sont connues, depuis notre jeunesse, les nobles formes des dieux olympiens nous font illusion ; nous sommes tentés de croire que tous ces personnages divins ont dès le début été tels que nous nous les figurons, qu’ils ont toujours soutenu entre eux les mêmes rapports. Pourtant, — il suffit pour s’en convaincre de réfléchir un instant, — la conception des dieux chez les anciens ne s’est pas soustraite plus que leurs institutions, leur littérature et leurs arts plastiques aux lois du développement historique ; elle n’a pas échappé, plus que les autres manifestations de leur génie, aux conditions du devenir.

  1. La traduction française existe ; un savant français qui occupe une place distinguée dans notre enseignement supérieur l’a, depuis plusieurs années, en portefeuille ; mais il n’a pu trouver encore un éditeur qui se charge de la publier.