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défenseurs de l’autocththonie des dieux olympiens n’osent pas nier cette origine ; mais ils parlent d’Aphrodite comme de la seule étrangère de l’Olympe. Cette assertion est-elle fondée ? On commence à ne plus le croire, depuis que l’on connaît mieux le caractère de cette divinité féminine qui, dans les religions sémitiques, se groupe, sur le premier plan, avec le grand dieu mâle ; c’est un même être sous différens noms, Belit, Beltis ou Mylitta à Babylone, Istar en Assyrie, Nana en Elymaïde, Anahit dans la Chaldée méridionale, Astarté en Phénicie, Tanit à Carthage. Tous ces noms, dont chacun désigne un côté particulier de cette essence divine, s’appliquent également à une déesse dont l’activité n’est point limitée à tels ou tels corps isolés de la nature, à telle ou telle de ses manifestations, mais n’est autre chose que la puissance même de cette nature, le principe humide qui joue son rôle dans la naissance de toute vie, la matrice qui reçoit tous les germes, qui enfante sans trêve et qui entretient toute existence sans jamais s’épuiser.

Les chemins suivis sur le continent par les influences orientales sont moins faciles à relever ; cependant certains monumens qui, depuis une quarantaine d’années, ont été découverts dans l’intérieur de l’Asie-Mineure, sont comme autant de jalons qui nous indiquent la direction de ces routes, à travers la Cappadoce, la Phrygie et la Lydie; nous pouvons compter les étapes, noter les plus importantes des stations intermédiaires. D’autre part l’exhumation de Ninive, l’étude des sculptures assyriennes et le déchiffrement des inscriptions cunéiformes nous révèlent de jour en jour, entre la Grèce et la civilisation du bassin de l’Euphrate, des rapports que l’on ne soupçonnait pas autrefois. La grande divinité d’origine babylonienne que les Phéniciens ont promenée avec eux sur les mers, nous la retrouvons dans l’Asie antérieure, sur le sol occupé par des peuples de race aryenne, en Arménie, sous le nom de la grande déesse Artémis, sous le nom de Ma en Cappadoce, d’Anaïtis à Zéla dans le Pont. A propos de ce dernier sanctuaire, l’origine mésopotamienne de ce culte est attestée par Strabon, comme elle l’est aussi pour l’Arménie. En Phrygie et en Lydie, c’est encore cette déesse orientale qui s’appelle, au pied du mont Dindymène et du mont Sipyle, Rhéa-Cybèle ; de là les Pélopides en ont porté le culte dans la Grèce propre, où cette même déesse devient tantôt Artémis, tantôt Aphrodite. C’est elle encore, à n’en pouvoir douter, que l’on reconnaît dans l’Artémis du fameux sanctuaire d’Éphèse ; là tout le corps de la déesse est couvert de mamelles gonflées de lait. C’est la mère et la nourrice; elle n’a de commun que le nom avec l’Artémis homérique, la vierge chasseresse dont le type a été immortalisé par les poètes et les sculpteurs de la Grèce[1].

  1. Au sujet de l’histoire d’Éphèse, du culte et du sacerdoce asiatique que les Grecs y trouvent établi quand ils viennent se fixer en Ionie, on lira avec profit une dissertation de M. Curtius, insérée dans les mémoires de l’Académie de Berlin (1872), sous ce titre : Beitrœge zur Topographie und Geschichte Klein-Asiens.