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Jagellon défendit qu’on commençât la poursuite avant que le retranchement fût emporté. Ce fut l’affaire d’un quart d’heure. Le roi de Pologne alla se poster alors sur la colline où la veille avait campé le grand maître, et il vit briller aux rayons du soleil couchant les armures des soldats teutoniques éparpillés dans la déroute. Beaucoup furent pris ou se noyèrent dans les étangs. Dlugloss, chanoine de Cracovie, le plus véridique historien de cette grande journée, rapporte, sans y croire, que l’armée prussienne y perdit cinquante mille hommes tués et quarante mille prisonniers; ces chiffres sont exagérés, mais le désastre fut immense. Au soir de la bataille, Jagellon, fatigué, se jeta sous un arbre en attendant qu’on préparât sa tente, et il donna l’ordre qu’on ensevelît dans la petite église de Tannenberg les corps des commandeurs. Le lendemain, pendant la célébration de la messe, les bannières prisonnières flottaient autour de l’autel de campagne du roi de Pologne. Toute la journée, six secrétaires écrivirent sur des tableaux la liste des prisonniers, pendant que les soldats vainqueurs estimaient leur butin, et, faisant couler le vin à flots, célébraient les funérailles de l’ordre teutonique.

Le coup était terrible; mais ce n’est pas de cette défaite que l’ordre devait mourir. La marche du vainqueur ressembla d’abord à un triomphe. Jagellon, évitant les violences, se donnait l’air d’un libérateur, et beaucoup parmi les sujets des teutoniques ne demandaient qu’à l’en croire. Les évêques, qui n’aimaient pas l’ordre, donnèrent l’exemple de la soumission. Les nobles acceptèrent le don qui leur était promis de la « liberté comme en Pologne, » et Danzig reçut l’envoyé de Jagellon solennellement’, au son des tambours et des trompettes. Mais il suffit de la résistance d’un homme énergique pour changer le sort de la campagne. Henri de Plauen commandait un corps d’observation à la frontière poméranienne, quand il apprit la nouvelle du désastre. Vite, il courut à Marienbourg et s’enferma dans le château après avoir brûlé la ville. Jagellon fut impuissant contre ces murailles héroïquement défendues. Après deux mois d’investissement, de bombardement et d’assauts inutiles, il leva le siège et rentra dans ses états. Encore une fois, la Pologne montra qu’elle ne savait pas soutenir un effort; menacée d’une guerre par Sigismond de Hongrie, elle accorda aux teutoniques une paix honorable et inespérée; mais l’accueil fait aux envahisseurs par les sujets des vaincus avait montré que la vieille corporation portait en elle-même les causes de sa ruine, dont la guerre étrangère ne fit que précipiter les effets.

Henri de Plauen, devenu grand maître, fit un pas très hardi pour la sauver. Les forces militaires des chevaliers étaient très réduites ;