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Scipion et César. Il ne songeait point aux plaisirs, ses mœurs restèrent toujours austères, dans un temps où la facilité des mœurs était générale et où la sévérité huguenote se laissait aussi volontiers corrompre que la vertu catholique.

Rohan et son frère Soubise eurent pour gouverneur Daniel Durant, frère de Samuel Durant, pasteur de Charenton, théologien et sermonnaire protestant, dont Tallemant des Réaux dit « qu’il savait, était hardi et avait l’esprit agréable et plaisant. » Daniel Durant avait disputé à Du Moulin la chaire de philosophie à l’université de Leyde et s’était consolé d’être vaincu en rouant son adversaire de coups. Il avait quitté les belles-lettres pour les armes et avait suivi M. de Béthune à Rome, où il s’attira quelques fâcheuses affaires par sa violence.

Il sut inspirer une véritable amitié à Rohan et à son frère, qui le gardèrent toujours pour conseiller. Il n’est connu dans l’histoire des troubles religieux que sous le nom de Hautefontaine. L’ancien précepteur de Rohan devint dans la suite un de ses ambassadeurs et même un de ses lieutenans pendant la guerre civile.

Le jeune vicomte de Rohan fit ses premières armes au siège d’Amiens en 1597 ; il eut un jour un cheval tué sous lui et étonna les plus vieux capitaines par son intrépidité froide et hautaine. La campagne terminée et la paix signée à Vervins en 1598, plutôt que de perdre son temps à la cour, il résolut de compléter son éducation en allant visiter les principaux pays de l’Europe. On a le journal de ce voyage, commencé dans les premiers mois de l’année 1598 et fini en 1600[1].

Cette relation, écrite d’un style qui ne fait guère pressentir l’auteur des fameux Mémoires, ne ressemble en rien à ce que serait aujourd’hui le journal d’un jeune homme de vingt ans. Le voyageur semble n’avoir d’autre objet que d’observer toute chose en militaire et en politique ; il ne s’intéresse qu’à l’assiette des places fortes et aux ressorts du gouvernement. Si en Italie il décrit des ruines et des monumens, c’est un sacrifice qu’il fait au respect de l’antiquité classique. A Rome, il ne voit que la Rome ancienne ; ses yeux sont fermés sur la Rome des papes, sur Raphaël, sur Michel-Ange, sur les merveilles de la renaissance, soit que sa ferveur huguenote lui commandât un silence iconoclaste, soit que son esprit fût rebelle à tout ce qui n’avait point d’utilité directe ou indirecte. Il est toujours sec, précis, il prend ses notes comme un fourrier d’armée ; il ne trahit aucune émotion devant les plus grands spectacles de la nature ni devant les plus belles œuvres de l’art.

  1. Ce journal est en manuscrit à la bibliothèque Mazarine (Collection Godefroy, n° 170).