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esté très mal traitté, mais non tant qu’on désiroit. J’ay couru fortune de la vie pour conserver la ville de Saint-Jean à laquelle on en vouloit fort.

« En attendant une entrevue, j’en ay entretenu le porteur que je connois vous estre fîdelle pour vous en faire rapport ; il vous dira où j’en suis et comme l’on tasche par tous moyens de me ruiner en me séparant du public. Mais j’ay mon recours en Dieu, qui ne m’abandonnera point s’il lui plaist ; il sait mon but et comme je n’entends qu’à la sécurité des églises et au repos de cest estat.

« Vous savez comme de nouveau l’on nous veut flestrir d’une abolition. Je vous promet qu’elle ne sera jamais publié où j’aurai du pouvoir. Le sinode national a fait une bonne déclaration là-dessus.

« Saint Jean, 3 de juillet 1612. »


Le côté politique des desseins de Rohan nous intéresse aujourd’hui plus que le côté religieux. A travers la poussière de nos passions, nous n’apercevons plus qu’un peu confusément les incidens d’un débat, qui se poursuivait tantôt sur les champs de bataille, tantôt dans le gouvernement des provinces et des villes, tantôt dans les assemblées des églises et dans les parlemens. Politiquement, Rohan nous apparaît ici comme le successeur de Coligny et d’Henri IV. Les protestans, — l’histoire leur rendra cette justice, — ont toujours tendu à pousser la France sur les Pays-Bas espagnols ; ils rêvaient le partage avec la maison d’Orange de ces provinces dont une partie seulement devait être soustraite à la souveraineté espagnole ; si tant de provinces soulevées contre l’Espagne, offertes au duc d’Anjou par Guillaume le Taciturne, toutes prêtes à se donner à la France pendant si longtemps, se laissèrent de nouveau choir et pour si longtemps sous le joug, allégé, il est vrai, de leurs anciens maîtres, il ne faut pas s’en prendre aux protestans français. Entre Henri IV et Richelieu, ils furent, ce semble, les seuls à conserver le sentiment exact de ce qui était utile, nous dirions volontiers nécessaire à la grandeur et à la sécurité nationales. La passion religieuse leur donna dans cette occasion la clairvoyance politique ; si elle les inclinait peut-être trop aux alliances protestantes, une passion semblable en détournait trop les catholiques. Richelieu, revêtu de la pourpre romaine, osa rechercher toutes les alliances utiles à la France et fut un vrai politique ; mais de précieuses occasions avaient déjà été perdues quand il reçut le pouvoir et put gouverner à son gré.


AUGUSTE LAUGEL.