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Il n’est pas douteux qu’on ne puisse un jour multiplier ces sortes d’exemples. Dès à présent, on signalerait même tel poème qui, comme Beaudoin de Sebourc, est une véritable parodie de la grande épopée, quelque chose comme une première et grossière ébauche du genre au développement duquel la littérature italienne devra plus tard son Roland furieux, et l’espagnole son Don Quichotte. Le fabliau vient-il de là ? Ces intermèdes comiques ont-ils fait partie, dès l’origine, de ces grandes compositions où nous les retrouvons incorporés ? Et le fabliau s’est-il détaché de la chanson de geste comme nous savons que la farce, par exemple, s’est détachée du mystère ? Les érudits décideront. La question est de leur domaine. Il n’importait ici que de montrer, dans les vastes eaux de l’épopée, le courant gaulois qui se mêle au courant germanique.

On a longtemps désigné sous le nom de fabliaux, sans y regarder de très près, des récits de genres très divers, et quantité de compositions qui n’avaient de commun entre elles que d’être d’assez courte haleine. Plus sévères aujourd’hui, nos érudits ne réunissent plus sous ce nom que le conte et la nouvelle en vers. « Le fabliau, dit un nouvel éditeur, est le récit, plutôt comique, d’une aventure réelle ou possible, même avec des exagérations, qui se passe dans les données de la vie humaine moyenne. » On pourrait se proposer, comme un exercice utile, de traduire cette définition savante. La langue des fabliaux en général est plus claire, plus souple surtout que la langue des chansons de geste. Elle a souvent des rencontres heureuses et des trouvailles d’expression. La gloire lui revient d’avoir frappé nombre de proverbes dont on use encore aujourd’hui dans le style bas et dans la liberté de la conversation démocratique. Elle ne manque d’ailleurs ni d’une certaine bonhomie narquoise ni parfois, sous l’enveloppe grossière, d’une certaine finesse. Cependant, comme la langue des chansons de geste, elle nous est encore une langue étrangère, et pour les mêmes raisons, je veux dire parce qu’elle n’a nulle part atteint la perfection de son genre.

Ce n’était pas que le genre fût bien relevé. La mode, il est vrai, s’est établie, comme de vanter dans les chansons de geste je ne sais quoi de plus grand même que l’Iliade, nescio quid majus Iliade, de célébrer aussi dans nos fabliaux je ne sais quels prétendus chefs-d’œuvre d’ingénieuse malice et d’observation satirique. Il y a des grâces d’état. En fait, nos conteurs du moyen âge n’ont connu ni cet art de railler avec politesse, qui seul donne du prix à la médisance, ni ces indignations vigoureuses qui sont l’âme de toute satire digne de ce nom. Il n’y a de satire littéraire que celle qui procède, comme la satire de Boileau, d’une haine irréconciliable des sots livres, et la satire sociale n’a de valeur, comme la satire d’Aristophane, qu’autant qu’elle trahit chez le poète une constante préoc-