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rendus à la misère et au vice. Qui les recueillera ? L’état ? Mais ses établissemens regorgent déjà de boursiers ; la dernière statistique officielle en fait l’aveu, son budget enfle démesurément, d’exercice en exercice ; et c’est à peine s’il a pu donner des pensions aux fils de tous ceux qui ont succombé sur nos champs de bataille dans la dernière guerre.

En vérité la pensée ministérielle est bien dure ici, et le gouvernement aura quelque peine à faire accepter ce nouveau massacre des innocens par tous les cœurs un peu généreux, car enfin, pour justifier une mesure aussi violente, il faudrait au moins l’appuyer de quelques bonnes raisons. Il faudrait invoquer autre chose que les ordonnances de 1828, et les arrêts de 1762. Charles X et Louis XV sont des autorités un peu surannées. A-t-on fait une enquête ? Résulte-t-il de cette enquête que l’enseignement donné par les congrégations non autorisées soit immoral, inconstitutionnel, ou même antinational ? Les inspecteurs généraux ont-ils constaté des faits graves à la charge des établissemens tenus par des congréganistes ? Ces faits ont-ils été consignés dans leurs rapports ?

À vrai dire, sur ce dernier point on peut nous répondre que l’inspection telle que l’ont organisée les lois de 1850 et de 1875 est complètement insuffisante. C’est tout à fait notre avis ; nous tenons que la surveillance de l’état sur les établissemens libres d’enseignement ne comporte aucune restriction, qu’elle devrait être entière, absolue ; mais qui empêche de l’organiser ? qui empêchait M. Jules Ferry de reprendre cette position malencontreusement abandonnée par le législateur de 1850 ? Dans cette question, comme dans celle de la collation des grades, tous les esprits modérés, tous ceux qui ne pensent pas qu’on doive refuser à la république les droits et prérogatives exercés par les régimes antérieurs, en un mot tous les hommes de gouvernement, se seraient joints à lui. Il n’avait qu’à réclamer cette restitution ; on la lui eût certainement accordée. Au lieu de cela, que fait M. le ministre de l’instruction publique ? Il vient, sans enquête préalable et sans autres raisons que des raisons tirées d’un droit aboli, proposer aux chambres une mesure d’exception contre des gens auxquels la loi reconnaît depuis près de trente ans les mêmes droits, en matière d’enseignement, qu’à tous les autres citoyens. À l’abri de cette législation, des établissemens considérables se sont formés, des habitudes et des besoins particuliers se sont développés ; un enseignement d’un caractère spécial est né. Cet enseignement n’est pas plus mauvais qu’un autre, nos concours le prouvent. Il est en tout cas fort goûté d’un grand nombre de familles, puisqu’il a de nombreux élèves. Est-ce un mal, est-ce un bien ? C’est un fait, un fait indiscutable.