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questions, de revendications de partis, d’interprétations et d’incidens, dont on ne peut avoir raison qu’en allant au-devant de difficultés nouvelles.

Le gouvernement, quand il est en face de lui-même, est vraisemblablement le premier à sentir la faiblesse et l’incohérence d’une situation où il ne peut faire un pas sans trébucher sur quelque incident, sans se trouver en face de quelque fantaisie ou de quelque exigence de parti. L’embarras pour lui est de se décider à revenir aux conditions invariables de tout régime sérieux, de prendre son parti sur certains points essentiels, de se fixer une limite. Le gouvernement, on le voit trop, est fort perplexe, fort ballotté entre les conseils de sa raison et toutes les provocations, toutes les pressions organisées autour de lui. Il comprend qu’à suivre le chemin où l’on voudrait parfois l’entraîner il risque de tout compromettre sans se sauver lui-rmême, qu’il livre par degrés la république à ceux qui veulent lui imprimer le sceau du radicalisme ; d’un autre côté, il ne peut se défendre de donner des gages à ce qu’on appelle toujours la politique républicaine, à tout ce qui se présente sous le pavillon de la majorité républicaine. Il hésite, il a parfois l’air de résister, de tenir bon sur certains points, il rachète aussitôt ses velléités de résistance en cédant sur d’autres points, en laissant au moins une espérance ou en livrant à l’ardeur des passions quelque aliment nouveau. Il s’épuise en compromis, en vaines tactiques, et il finit par se créer une vie aussi incertaine que laborieuse, où rien n’est résolu, où tout recommence, se complique et s’aggrave.

Qu’est-il arrivé de cette question de l’amnistie à laquelle on n’a pas réussi à intéresser l’opinion, qui a été après tout imposée par les partis extrêmes ? Le gouvernement a cru faire pour le mieux en allant d’un seul coup à la dernière limite des concessions possibles, en dépassant la mesure où s’était arrêté M. Dufaure. Il a accepté cette combinaison d’un délai de trois mois pendant lequel la grâce équivaudrait à l’amnistie, et il a fait assurément le plus large, le plus libéral usage de ce droit embarrassant et délicat qui lui a été donné. Il a multiplié autant que possible, au delà même de toutes ses promesses, les grâces impliquant l’amnistie : il est arrivé à ce qu’il considère sans doute comme la partie irréductible ; mais cela ne suffit pas, on ne le tiendra pas quitte tant qu’il ne sera pas allé jusqu’au bout, tant que cette amnistie, dont il a fort éloquemment répudié le principe, n’aura pas été en fait appliquée à tout le monde des condamnés de la commune. Le voilà menacé d’une marque de confiance d’une nouvelle espèce sous la forme d’une motion qui tendrait à lui laisser pour trois mois encore le droit d’amnistie qui allait expirer le 5 juin. Le ministère croyait en avoir fini avec cette question, il n’en a jamais fini avec elle, il la voit sans cesse renaître, et aujourd’hui, qu’il refuse ou qu’il accepte le droit qu’on lui propose, il risque de n’avoir ni le bénéfice d’une résolution nette, ni l’avantage d’une concession libre.