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de M. de Talleyrand, ait cru l’occasion plus favorable pour provoquer une entrevue qui l’amusait, et qui était en même temps utile à une de ses amies, je ne le contesterai pas comme impossible, quoique je n’aie aucune raison de le supposer. Je suis au contraire parfaitement sûr d’avoir entendu mon père et ma mère, revenant sur cet incident après quelques années, le citer comme un exemple de l’importance inattendue que pouvait prendre une chose insignifiante et fortuite, et dire en souriant que Mme de Rumford ne savait pas ce qu’elle leur avait coûté.

« Ils ajoutaient qu’on avait prononcé à cette occasion, autant par haine que par dérision, le mot de triumvirat, et ma mère disait en riant : « Mon ami, j’en suis fâché, mais votre lot ne pouvait être que celui de Lépide. » Mon père disait encore que des personnes de la cour, point ennemies, lui en avaient quelquefois parlé comme d’une chose positive, et lui avaient dit sans hostilité : « Enfin, maintenant que cela est passé, dites-moi donc ce qui en était, et que prétendiez-vous faire ? »

Ce récit donne un exemple des tracasseries des cours, et fait connaître l’intimité de mes grands parens avec M. de Talleyrand. Quoique l’ancien évêque d’Autun ne semble pas avoir apporte dans cette intimité le genre de préoccupation qui lui était le plus ordinaire avec les femmes, il avait beaucoup de goût, d’admiration même pour celle dont je publie les Mémoires, et j’en trouve une preuve assez piquante dans le portrait qu’il a tracé d’elle, sur le papier officiel du sénat, pendant l’oisiveté d’une séance de scrutin qu’il présidait en qualité de vice-grand électeur, probablement en 1811 :


SÉNAT CONSERVATEUR.

« Luxembourg, le 29 avril.

« J’ai envie de commencer le portrait de Clari. — Clari n’est point ce que l’on nomme une beauté ; tout le monde s’accorde à dire qu’elle est une femme agréable. Elle a vingt-huit ou vingt-neuf ans ; elle n’est ni plus ni moins fraîche qu’on ne doit l’être à vingt-huit ans. Sa taille est bien, sa démarche est simple et gracieuse. Clari n’est point maigre ; elle n’est faible que ce qu’il faut pour être délicate. Son teint n’est point éclatant, mais elle a l’avantage particulier de paraître plus blanche à proportion de ce qu’elle est éclairée d’un jour plus brillant. Serait-ce l’emblème de Clari tout entière, qui plus connue paraît toujours meilleure et plus aimable ?

« Clari a de grands yeux noirs ; de longues paupières lui donnent