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escortent ces voitures jusqu’aux routes allant vers Paris. Cela se fait en plein jour, et lorsque les concierges ou gardiens veulent s’y opposer, les officiers les menacent de leurs armes. Il est impossible, monsieur, que vous soyez indifférent à de tels faits qui déshonorent toute autorité et toute époque. Votre serviteur, Moussette[1]. » En présence de cette lettre, en présence de ces actes, rappelons encore la proclamation lancée le 6 avril : « Le comité central a confiance que l’héroïque population parisienne va s’immortaliser et régénérer le monde ! »

Ce n’est pas seulement aux maisons particulières que ces régénérateurs manqués s’adressaient ; ils en étaient, vers les derniers jours de leur sinistre aventure, arrivés à un paroxysme qui les aveuglait et qui pourrait faire croire qu’ils étaient tous atteints de cleptomanie aiguë. Ils violaient impudemment les immunités diplomatiques et s’exposaient ainsi à des dangers qu’ils ne soupçonnaient même pas. Le samedi 20 mai, M. Washburne, ministre plénipotentiaire des États-Unis d’Amérique, était à sa légation, rue de Chaillot, occupé à écrire au général Fabrice en faveur d’Alsaciens qui réclamaient la protection de l’Allemagne, lorsqu’il apprit par une servante, tout éplorée, que sa demeure particulière, située avenue de l’Impératrice, était menacée par des fédérés qui voulaient l’envahir, s’y installer, et qui déclaraient qu’ils ne reconnaissaient à personne un caractère diplomatique. — M. Washburne fit immédiatement prévenir Paschal Grousset, qui prit toutes précautions pour protéger la maison du représentant des États-Unis. Mais celui-ci, continuant sa lettre au général Fabrice, la termina par ces mots : « Ici l’état des choses devient pire de jour en jour. Pendant que je vous écris, ma servante vient de m’apprendre que la garde nationale s’est présentée pour envahir ma maison, au mépris de mon caractère diplomatique qu’elle méconnaît. Toutes les maisons du voisinage ont été pillées. » M. Washburne, on ne doit pas l’oublier, avait, pendant la guerre et pendant la commune, accepté de sauvegarder la vie et les intérêts des Allemands restés à Paris. Le général Fabrice, ému de la nouvelle qu’il recevait et croyant sans nul doute que la résidence de M. Washburne avait été violée par les soldats de l’insurrection, expédia sans délai une dépêche télégraphique à M. de Bismarck, qui était alors à Francfort. La réponse du chancelier ne se fit pas attendre, et le général Fabrice adressa la lettre suivante à Paschal Grousset : « Soisy, 21 mai 1871. Le gouvernement allemand a été informé hier, 20 mai, que certains gardes nationaux ont envahi la maison du ministre des États-Unis d’Amérique, en déclarant qu’ils ne se souciaient pas de son caractère

  1. L’auteur de cette lettre courageuse, M. Moussette, était en 1830 rédacteur du Courrier des électeurs.