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cité assez imprévue. Elle a fait brusquement son apparition en Égypte, prenant en main la cause des créanciers allemands, protestant contre les actes du vice-roi, contre de prétendus règlemens de la dette violant les engagemens internationaux. Le khédive, un peu surpris d’abord, a paru vouloir renvoyer le représentant de l’Allemagne un pouvoir suzerain, au sultan ; mais la diplomatie allemande ne s’est pas montrée disposée à lui laisser la ressource des ruses et des moyens évasifs. Elle parle quelquefois assez rudement, la diplomatie de, M. de Bismarck ; elle n’a pas caché au vice-roi qu’il serait « responsable des conséquences de sa conduite contraire au droit. » Ce que signifie au juste cette menace, il est difficile de le dire ; elle est dans tous les cas de nature à faire réfléchir Ismaïl-Pacha sur le danger des fantaisies financières et elle est une péripétie de plus dans ces misérables affaires égyptiennes. Les Allemands n’ont pas sans doute les mêmes intérêts que les Français et les Anglais, ils n’ont pas autant de raisons d’intervenir, et d’un autre côté on ne peut guère supposer que M. de Bismarck ait des desseins particuliers sur l’Égypte. Il est plus présumable que le chancelier de Berlin, voyant la France et l’Angleterre hésiter, se diviser peut-être, laisser la place vide, a saisi, avec l’impétuosité qui lui est familière, l’occasion de prendre position, de faire sentir l’influence de l’Allemagne sur un point où elle n’avait pas paru jusqu’ici. Il a voulu introduire l’Allemagne dans cette partie de l’Orient, il est un peu suivi par l’Autriche, de sorte que ce qui était depuis longtemps par tradition l’affaire particulière de l’Angleterre et de la France devient l’affaire de l’Europe.

C’est un peu la faute du cabinet anglais, qui a l’air de jouer un singulier jeu depuis quelques semaines. Que cette Roumélie, qui est la création favorite de lord Beaconsfield, soit menacée, il ne semble pas s’en inquiéter beaucoup. Qu’il y ait des difficultés entre la Turquie et la Grèce, il reste assez indifférent. Qu’il éprouve un déboire à Alexandrie, sur ce vieux théâtre de l’Égypte, où il a si souvent paru avec éclat, il ne montre aucun empressement à rétablir l’ascendant de l’Angleterre, à maintenir l’action commune un moment nouée avec la France, Est-ce le signe de quelque évolution nouvelle dans sa politique ? Cette apparence de désintéressement ou de froideur de sa part dans certaines questions prouve-t-elle qu’il tendrait à faire, comme on dit, la part du feu dans l’Europe orientale et même en Égypte poux porter désormais son action vers l’Asie-Mineure, qu’il ferait explorer en ce moment, assure-t-on, par ses émissaires et ses officiers ? C’est un mystère que les événemens éclairciront. Il ne reste pas moins en Égypte, comme sur divers points de l’Orient, des intérêts que la France, et avec elle d’autres puissances de l’Europe, ne peuvent abandonner, dussent-elles n’avoir pas toujours l’appui de l’Angleterre. Ce qui arrivera d’ici à quel-