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Plus d’un membre de la commune regarda du côté des troupes allemandes lorsque la prise du fort d’Issy annonça une prochaine défaite. On ignore ce qu’ils ont pu dire entre eux et quelles résolutions ils ont prises dans leurs conciliabules secrets ; mais l’un d’eux avait formulé ses idées par écrit : c’est Rastoul, nature méridionale très vive, très ardente, tout extérieure et sans méchanceté. Quoiqu’il fût assidu aux séances de l’Hôtel de Ville, son action ne s’exerça jamais pour les actes coupables, et vers la fin il conçut un projet qui ne manquait pas de grandeur. A son domicile du boulevard Magenta, on découvrit le brouillon d’un discours qu’il comptait adresser, — qu’il adressa peut-être, — « aux citoyens membres du comité de salut public et aux citoyens membres de la commune. » C’est écrit lestement, sans trop de ratures ; on y sent l’œuvre d’un homme convaincu. La date a son importance, 22 mai ; l’heure de la grande défaite va sonner ; Rastoul là prédit à coup sûr, et, entraîné par un mouvement d’humanité, voudrait y soustraire l’armée de l’insurrection : «… J’ai acquis la triste conviction que la partie est perdue pour nous ;… notre devoir impérieux est d’empêcher de verser inutilement le sang de nos concitoyens. » Il demande que l’on réunisse en assemblée générale, en congrès souverain, les membres du comité central, les membres de la commune, et qu’on leur fasse adopter la proposition suivante : « La commune de Paris et le comité central se reconnaissant vaincus viennent offrir au gouvernement de Versailles leurs têtes, à la condition qu’il ne sera fait aucune poursuite, qu’il ne sera exercé aucunes représailles contre l’héroïque garde nationale. Si cette proposition est acceptée, le sang cesse de couler à l’instant et nous sauvons la vie de plusieurs milliers de nos frères. »

Rastoul avait raison ; si sa pensée généreuse avait pu éveiller quelques bons sentimens dans l’âme des hommes dont il invoquait le sacrifice, la guerre était finie ; six mille cadavres n’ensanglantaient pas nos rues, les pontons restaient vides, et nul sinistre poteau n’était dressé à Satory. C’était trop demander à ceux qui vers la fin se battaient moins pour conserver leur proie que pour la détruire. Rastoul devine cela ; il comprend que son projet chevaleresque sera repoussé avec horreur par ces révolutionnaires auxquels l’abnégation est inconnue, et, comme pour se faire pardonner la hauteur délicate de sa conception, il ajoute : « Dans le cas où ma proposition ne serait pas acceptée par vous, voici un second moyen que je vous propose. Si vous jugez la situation perdue, rassemblez le plus de gardes nationaux que vous pourrez en faisant battre la générale dans tous les quartiers. Faites rassembler tous les bataillons en armes sur les hauteurs de Belleville et de Ménilmontant par exemple, et là, les bataillons massés avec armes et bagages,