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fortuite, les pèlerins de la Mecque campaient dans une grande plaine située à côté des casernes de l’Abassieh, et des communications incessantes s’établissaient entre eux et les officiers. De plus une vive agitation, ardemment provoquée par le cheik-el-bekri, chef de tous les derviches hurleurs et tourneurs de l’Egypte, régnait dans la grande université musulmane du Caire, la mosquée d’El-Azar. Le moment était bien choisi pour exciter les sentimens de révolte des derviches. Le retour du tapis est suivi de la grande fête du Dosseh, qui dure deux semaines pendant lesquelles toutes les confréries passent les nuits dans de véritables orgies religieuses afin de se préparer à la cérémonie où le cheik-el-bekri traverse, au galop de son cheval, un chemin pavé de corps humains. La réunion de ces nombreux fermens de troubles ne pouvait manquer de produire quelque émotion. Néanmoins, tout le monde fut surpris lorsqu’on apprit que deux ministres venaient d’être enfermés dans leurs ministères par une grande manifestation d’officiers, que des coups de fusil avaient été tirés dans les rues paisibles du Caire et que l’Egypte avait eu son 31 octobre. Voici ce qui s’était passé.

Cinq cents officiers environ, conduits par deux ou trois meneurs, tous parens des familiers du palais, étaient partis de leurs casernes pour se rendre au ministère des finances sous prétexte de remettre à Nubar-Pacha et à M. Wilson une pétition contre le licenciement de l’armée. Avant de prendre la route du ministère des finances, ils étaient allés à la salle des réunions de la chambre des notables inviter le bureau de l’assemblée à les accompagner. On songeait déjà à donner à la manifestation un caractère national, parlementaire et libéral. Les officiers s’étaient entendus à l’avance avec les notables. Toutefois, le bureau ne crut pas devoir les suivre ostensiblement; trois ou quatre membres de la chambre montèrent seuls sur leurs ânes pour s’associer à la démonstration. Le ministère des affaires étrangères est à côté du ministère des finances. Au moment où les officiers s’en approchaient, Nubar-Pacha partait en voiture. A peine reconnu, on l’entoure de toutes parts. Furieux de cette résistance intempestive, le cocher fouette les chevaux; les officiers, exaspérés, se jettent sur lui, l’accablent de coups, le renversent de son siège; puis, s’emparant de Nubar-Pacha, ils le prennent au collet, le roulent à terre et le secouent violemment. M. Wilson, qui revenait de chez le khédive et qui se rendait à son ministère, aperçoit la manifestation. Reconnaissant Nubar-Pacha entre les mains des révoltés, il se précipite à son secours et tombe à coups de canne sur la foule ameutée. On l’entoure lui aussi, on lui crie de toutes parts : Du pain! du pain ! on lui tire la barbe, ce qui est la plus