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aime moins encore le mariage, qu’il traite de pure convention, comme le duel et la mode, et d’institution surannée qui se survit. Il se récrie avec indignation contre l’odieuse hypocrisie de nos lois, qui prescrivent la monogamie, tandis que l’homme jusqu’aujourd’hui a toujours été un animal essentiellement polygame, pourvu qu’il ait de quoi, la polygamie étant le plus coûteux de tous les luxes. Tout homme, nous dit-il, aspire à avoir plusieurs femmes ; mais, par un instinct de propriétaire, il prêche la monogamie à celle qu’il a épousée, non aux autres, bien entendu, pour peu qu’il soit encore en âge d’avoir des succès. Aussi l’Europe est-elle, selon lui, « le principal foyer de la polygamie, de la polyandrie et de la pantagamie. » Ne pouvant supprimer la pantagamie, faut-il donc que l’état la sanctionne ? Il est des hypocrisies salutaires. L’état est comme ces mères de famille qui, ne sachant comment s’y prendre pour empêcher leurs fils de s’amuser, trouvent plus sage de fermer les yeux et affectent de tout ignorer. La loi dit comme Moïse : Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain. Elle dit aussi : Si tu la prends et que ton prochain me la redemande, je la lui rendrai. Elle dit encore: Ce que je ne sais pas n’existe pas pour moi. Franchement, nous ne comprenons pas de quoi s’indigne M. Hellenbach.

S’il n’aime pas le mariage, il a beaucoup de sympathie pour la femme. À la vérité, il n’approuve pas le moraliste qui s’est permis d’avancer que chez l’homme l’amour naît du désir, que chez les femmes le désir naît de l’amour. M. Hellenbach répond à cela qu’elles savent mieux cacher leur jeu ; mais il se plaint qu’elles sont sacrifiées par le législateur, et il réclame leur émancipation. Il estime que ce n’est pas la guerre, que c’est l’amour qui est un admirable moyen inventé par la nature pour perfectionner notre misérable espèce, et il reproche au mariage de n’avoir rien de commun avec l’amour. « Parmi les hommes qui se marient, nous dit-il, l’un veut se procurer une ménagère, un autre une commandite pour son commerce, le troisième une mère pour ses enfans, le quatrième une femme qui paie ses dettes, le cinquième la protection d’un beau-père, un autre enfin une cuisinière. Quant à celui qui se marie par amour, la seule raison qu’il peut avoir pour se résigner à franchir ce pas périlleux est que dans la société actuelle il ne peut posséder l’objet aimé qu’en l’épousant. Mais sa déception sera grande, car le mariage n’est pas une institution poétique, le mariage est un contrat, et partant le tombeau de l’amour. » M. Hellenbach paraît croire que le seul moyen de réconcilier le mariage avec la poésie et l’amour serait de le rendre temporaire et renouvelable. Mais pourquoi l’état se mêlerait-il de réconcilier les contrats avec l’amour ? Est-ce là son affaire ? Au surplus l’amour se passe à merveille de contrats, et les engagemens temporaires répugnent beaucoup plus à sa nature que les engagemens éternels. On loue un appartement pour trois, six ou