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délivrer des obsessions, promettait le travail et ne s’en inquiétait plus; on revenait à la charge, on le harcelait, et il finissait, de guerre lasse, par livrer à ses élèves un modèle de terre ou simplement une maquette, qui ne lui coûtait guère qu’un travail de mémoire. De là ces œuvres banales, faites de routine et de pratique, comme on dit à l’atelier, où se répètent les formules et les motifs qui ont réussi ailleurs. Par exemple, ce tombeau d’Eugène de Beauharnais[1], qui nous montre un guerrier accoutré à la romaine (on ne l’eût pas accepté autrement), la main sur son cœur, et présentant une couronne de lauriers à la muse de l’Histoire, entre le génie de la Mort et celui de l’Immortalité, ce n’est pas mauvais assurément; on y reconnaît le dessin vigoureux du maître; c’est seulement froid et sans aucun intérêt. Aliquando bonus dormitat Homerus. On a dit la même chose de Thorvaldsen ; mais on peut être sûr qu’il ne s’endormait qu’à bon escient.

Ce qui prouve d’une façon irrécusable qu’il ne faut pas juger ses travaux sans tenir compte de leurs origines, c’est l’indépendance, ce sont les méthodes neuves et hardies, c’est enfin le sentiment juste et vrai qu’il déployait toujours dans les occasions où il demeurait le maître de son sujet. Il ne s’est pas fait faute de vêtir lord Byron d’une redingote en l’asseyant sur des débris de colonnes grecques, dans l’attitude d’un poète qui écoute la muse. Son Schiller au contraire est debout, drapé dans un large manteau, la tête couronnée de lauriers et inclinée dans une méditation profonde : il tient aussi une plume et un livre. Cette physionomie et cette attitude seraient dignes du Dante, et si David d’Angers ne les trouve pas assez fières, c’est pousser un peu loin l’orgueil démocratique. Regardez les statues de Conradin, de Christian IV, de Maximilien Ier de Bavière[2], et vous verrez comment Thorvaldsen fait du grand style en se soumettant à tous les détails historiques d’un costume. Ce Maximilien à cheval, dans son armure de la guerre de Trente Ans, est une œuvre grandiose et simple, pleine de vie et de majesté. Elle traduit aussi fidèlement le personnage du grand électeur que la belle statue de Rauch, à Berlin, par son style plus familier et plus vif, représente le caractère de Frédéric II. Mais l’application la plus remarquable peut-être des théories de Thorvaldsen, c’est le Copernic de Varsovie, exécuté dans ses meilleures années, peu après la princesse Bariatinsky. C’est là qu’il faut étudier l’art d’idéaliser un personnage moderne, de le traiter comme aurait fait un Grec, avec cette grandeur et cette vérité universelles qui conviennent aussi bien au XIXe siècle qu’au temps de Périclès. Copernic est assis, vêtu d’une

  1. Dans l’église Saint-Michel, à Munich.
  2. Également à Munich, place Wittelsbach.