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elle n’est pas indigne du grand artiste et garde dans ses travaux un rang considérable.

On peut d’abord se demander pourquoi il a donné de telles dimensions à la figure de l’Homme-Dieu. Est-ce une réminiscence des vieilles mosaïques où l’on voit, dans des proportions pareilles, l’image du Sauveur sur la voûte dorée des absides byzantines ? Ou bien le souvenir profane des gigantesques statues de Jupiter et de Minerve sculptées pour les temples d’Olympie et d’Athènes ? C’est l’un et l’autre à la fois, l’usage byzantin n’étant lui-même apparemment qu’une continuation naïve de celui des Grecs, qui croyaient, en agrandissant le dieu du temple, lui donner plus de majesté et frapper davantage ses fidèles. Peut-être cette imitation d’une idée païenne, cette importance matérielle de l’image du vrai Dieu était-elle mieux à sa place dans les peintures d’une voûte que dans une figure de ronde bosse, hors de proportion avec sa perspective naturelle. Quoi qu’il en soit, il est certain que l’emploi uniforme du marbre blanc pour une aussi grande statue lui donne un aspect monotone et froid. Les colosses des anciens étaient la plupart en bronze doré ; quelques-uns en or et en ivoire, et ceux que l’on sculptait en marbre étaient toujours animés et embellis par cette coloration merveilleuse dont nous avons perdu le secret. Thorvaldsen était loin de connaître ces détails et de soupçonner que son Christ s’éloignait étrangement, par ce côté-là, des traditions grecques.

Ce Christ est debout sur un haut piédestal, la tête et le corps un peu penchés en avant et les yeux baissés. Il ouvre à demi les bras et étend les mains en disant : Venez tous à moi, venite ad me omnes. Il n’est vêtu que d’un ample manteau, léger et souple, qui laisse le sein et le bras droits découverts, en s’ouvrant avec des plis largement dessinés. Cette draperie, par ses grandes lignes, accompagne bien le corps et l’encadre d’une religieuse majesté. L’attitude du Sauveur, le mouvement de ses bras montrent une vérité parfaite, une inspiration franche et élevée. La tête, d’un ovale très pur, avec la barbe légère et divisée, les longs cheveux ondoyans sur les épaules, est d’une beauté irréprochable, si ce n’est que l’expression n’en est pas assez tendre, eu égard surtout au geste de l’Homme-Dieu, et que la ligne des sourcils est trop horizontale, ce qui nuit à la noblesse et à la sérénité de l’expression. On regrette que Thorvaldsen, en s’inspirant visiblement des grands peintres du XVe et du XVIe siècle, surtout de Léonard de Vinci, n’ait pas su mieux reproduire le caractère touchant et pathétique qu’ils ont donné plus d’une fois à la figure du Rédempteur. On regrette aussi que, dans sa recherche scrupuleuse du type le plus traditionnel du Christ, il n’ait pas connu certaines vieilles images qui lui auraient donné les plus