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légitime si elle reste intelligente et élevée, de confondre avec leur foi religieuse la préoccupation de leurs plus graves intérêts ; et dans les sociétés qu’ils forment, beaucoup de ces intérêts, matériels ou moraux, se rattachent aux édifices construits par leurs mains. Il n’en a pas été sous le christianisme autrement que dans l’antiquité : Saint Bénezet, aux premiers temps du moyen âge, consacre sa vie à l’établissement et à l’entretien de ponts aux passages les plus périlleux des Alpes, et le temple chrétien reçoit de la consécration du prêtre un divin caractère. A Rome, le gouvernement civil a continué, pour la protection des édifices publics, l’œuvre du droit religieux. Il serait facile de montrer, par une série de textes législatifs, que les empereurs ont apporté un grand zèle à la surveillance et à la conservation des monumens. Ces traditions ont pu s’affaiblir; mais le sentiment de l’antique majesté romaine, qui ne s’est jamais entièrement éteint, les a entretenues, et l’idée d’une Rome destinée à une gloire nouvelle les a ranimées. Le temps et le malheur même n’ont fait qu’affirmer toujours davantage cette puissance permanente et qui semblait indestructible. Les peuples barbares y rendaient hommage à leur manière, soit quand ils s’irritaient contre Rome et pensaient follement la détruire, soit lorsque, séduits eux-mêmes, ils enviaient le mérite de s’associer à sa grandeur, ou de la gouverner et de relever ses premières ruines.

Théodoric, roi des Goths, eut cette ambition. Les lettres de son ministre Cassiodore nous instruisent des soins intelligens qu’il prit et des sommes importantes qu’il destina pour l’entretien et la protection des monumens de Rome. Un magistrat spécial, comme jadis, fut chargé d’y veiller ; l’architecte urbain dut exiger l’observation des règles techniques dans les constructions nouvelles; on reprit la fabrication officielle des briques, si abondante sous l’empire et il n’est pas rare de retrouver aujourd’hui les mattoni de Théodoric portant cette inscription : Félix Roma. Cassiodore exprime, avec une emphase qui est de son temps, une ardeur très respectable et très sincère; quand il rédige pour le préfet Symmaque l’ordre de quelques réparations au théâtre de Pompée, au palais des Césars, au cirque Maxime, au Colisée, il prend le langage de l’administrateur, mais aussi celui de l’archéologue et du moraliste. On dirait qu’il prend même celui du poète lorsque, dans son admiration peut-être superstitieuse et dans sa sollicitude pour les magnifiques statues de bronze, impuissant à les protéger comme il le voudrait, il exprime l’espoir que, si quelque téméraire y veut porter atteinte, elles retentiront sous les coups, et appelleront d’elles-mêmes contre les profanateurs un rapide châtiment.

La période carlovingienne, en montrant la dignité impériale restaurée