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déjà pour le moins il a refait sa « préface de Cromwell, » Quelque sujet dont il parle, il n’a jamais qu’un but, qu’une pensée. Il fait flèche de tout bois; il ramène tout à ses fins, la politique, la philosophie, l’art, la littérature; il se multiplie, il fait à lui seul l’illusion d’une foule. Je ne suis pas de ceux qui lui reprochent cette persévérance et pour ainsi dire cette ubiquité. Il n’est pas donné à tout le monde d’avoir ainsi son Delenda est Carthago et de s’y tenir résolument. Si ce n’est pas le signe d’une nature très souple, c’est au moins celui d’une nature puissante, et la volonté est ici-bas la première des forces. J’aime à voir cet apôtre, occupé du matin au soir de sa mission, appliqué sans relâche à secouer les indifférens, à ranimer les tièdes, à convaincre les incrédules. C’est là le symptôme d’une foi vaillante ou tout au moins d’une énergie peu commune.

Ce que je regrette, c’est, après avoir lu consciencieusement les manifestes de M. Zola, innombrables comme les étoiles du ciel, de n’avoir pu bien comprendre encore ce que c’est que le naturalisme. Est-ce le prédicateur, est-ce moi qu’il faut accuser? La modestie m’ordonnerait sans doute de m’accuser si j’étais seul embarrassé; mais je vois beaucoup d’honnêtes gens embarrassés comme moi ; et M. Zola nous rendrait bien grand service à tous en voulant bien mettre une fois les points sur les i pour les pauvres d’esprit qui en ont besoin.

Parfois il semble que le naturalisme soit surtout une réaction contre la forme de l’art romantique, contre l’alliance systématique du tragique et du comique dans une même œuvre, contre les trappes et les trucs du mélodrame de la Porte-Saint-Martin, contre les inventions bizarres et compliquées multipliant à plaisir les invraisemblances pour en faire sortir ce que l’on a appelé des «situations. » Si c’était là le fond du naturalisme, il faudrait avouer qu’il vient bien tard. La porte qu’il prétend enfoncer est ouverte depuis longtemps. Il y a déjà tout près de quarante ans qu’Alfred de Musset, dans cette Revue même, se moquait, sans que le lecteur protestât, de ces gros mélodrames où l’intrigue

enroulée en feston
Tourne comme un rébus autour d’un mirliton.


La formule du drame romantique est aujourd’hui presque aussi vieille que sa grande ennemie la formule de la tragédie classique. Au moment même où l’on applaudit une reprise d’Hernani ou de Ruy Blas au lendemain d’une reprise d’Andromaque, de Zaïre ou de Phèdre, nos jeunes poètes ne songent pas plus à refaire d’autres Ruy Blas ou d’autres Hernani qu’ils ne songent à refaire Zaïre, ou Phèdre, ou Andromaque, en se conformant aux rigoureuses unités de temps et de lieu. Le ridicule des déclamations retentissantes, des tirades à effet, des grands sentimens étalés à faux, nous le connaissons depuis longtemps, il n’est