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REVUE LITTÉRAIRE

Théâtre complet de M. Eugène Labiche, première série. 10 vol. in-18. Paris 1879, Calmann Lévy.

Voici un phénomène singulier : trente ou quarante années durant, sur des scènes réputées à bon droit secondaires, ou même inférieures, un auteur dramatique a produit des pièces applaudies; ses inventions ont fait fortune, ses mots ont fait proverbe, son genre a presque fait école, et son amusant répertoire a défrayé déjà la gaité de plusieurs générations ; en effet, il est passé maître dans l’art de provoquer le gros rire, le fou rire, ce rire qui se prend à tout dès qu’il est une fois lancé, qui n’instruit sans doute, ni n’amène la réflexion à sa suite, ni n’égaie peut-être, au vrai sens du mot, mais au moins qui dilate, et pour employer la seule langue ici qui convienne, ce rire qui « désopilerait la rate » même de Timon d’Athènes ou de l’homme aux rubans verts, grands misanthropes, comme on sait, et forcenés atrabilaires. Là-dessus, un beau jour, notre auteur, cédant aux sollicitations d’un confrère, publie son Théâtre complet, et la critique, dans cette ample collection de joyeusetés, tout à coup, découvrant ce que personne encore ne s’était avisé d’y voir, proclame à son de trompe qu’un héritier de Molière nous est né, que le Chapeau de paille d’Italie, la Cagnotte, la Sensitive, le Voyage de M. Perrichon, sont tout uniment chefs-d’œuvre trop longtemps méconnus d’observation comique, satirique, voire philosophique, et que décidément l’auteur de Si jamais je te pince!,. manque à la gloire de l’Académie française. Lui cependant, là-bas, au fond de sa Sologne, tranquille, et bien innocent du bruit que l’on mène autour de son nom, modère habilement l’enthousiasme de ses admirateurs. Il consent volontiers qu’on l’appelle « notre premier producteur de gaz exhilarant; » il ne souffre pas encore qu’on le compare à Molière. Et vraiment, que pourrait-il davantage? Voudriez-vous pas