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Ce n’est pas que les whigs n’aient essayé à diverses reprises de la dénaturer et de la fausser. Sous la maison de Hanovre, un petit groupe de familles patriciennes qui s’étaient rendues maîtresses de la chambre des lords a tenté d’annuler la royauté en la réduisant au rôle effacé des doges de Venise, et, après avoir asservi les communes par la corruption, de les soustraire au: contrôle du corps électoral en portant de trois années à sept la durée des parlemens. Les libertés publiques auraient été perdues sans la résistance énergique des petits propriétaires tories sous la conduite de grands politiques comme Bolingbroke, Wyndham et Pitt. L’auteur faisait alors, à son point de vue, l’histoire des deux grands partis et cherchait à établir, ainsi qu’il l’avait déjà soutenu, que les tories, en dépit de leurs préjugés et de leurs erreurs, avaient toujours été plus sincèrement libéraux et plus fidèles aux intérêts du peuple que leurs adversaires. Résumant enfin ce qu’il avait dit du mécanisme par lequel la nation, en Angleterre, se gouverne et s’administre elle-même, M. Disraeli arrive à cette conclusion que la constitution anglaise a établi une démocratie, mais une démocratie libérale et protectrice. A la différence de la démocratie française, qui fait peser sur la nation un niveau inflexible et ne laisse subsister devant elle aucun droit, la démocratie anglaise reconnaît des droits à tous et en consacre l’inviolabilité : remarque juste et vraie, car tandis que le citoyen en France n’est qu’un grain de sable, sans point d’appui et sans force de résistance, le citoyen anglais, cantonné dans son droit comme dans une forteresse, est assuré d’obtenir protection et justice.

Tel est, en substance, ce livre singulier, mélange de vérités et d’erreurs, où, à côté d’idées hasardées et de jugemens contestables, fourmillent les aperçus ingénieux et les vues justes et profondes. L’histoire et le droit y ont été mis également à contribution pour établir une thèse préconçue : aussi les hommes ne sont-ils pas toujours jugés équitablement, aussi les faits historiques sont-ils quelquefois forcés; quelquefois aussi ils sont éclairés d’une lumière inattendue. Au fond, sous les dehors d’une œuvre de métaphysique et d’érudition, c’était surtout une œuvre de polémique. Les journaux qui s’en occupèrent aussitôt ne s’arrêtèrent point à discuter les théories politiques de l’auteur : les feuilles radicales affectèrent de voir dans ce que l’auteur disait du rôle de la chambre des communes une négation des droits de cette chambre; les journaux whigs qualifièrent d’abominable diatribe les appréciations historiques défavorables à leur parti ; les uns et les autres crièrent au scandale, s’indignant de trouver de semblables jugemens sous la plume d’un renégat du radicalisme. La discussion fut donc remplacée par des personnalités ; et il ne fut question dans le Globe et dans le