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appellent terramara, y ont découvert les débris d’une société primitive où l’on ne connaissait pas l’usage du fer. M. Helbig pense que ces débris appartiennent à ces peuples de race aryenne qu’on appelle italiques, et qui furent les aïeux des Sabins, des Ombriens, des Osques et des Latins. Ils venaient, dans leur grande migration, de se séparer des Grecs, leurs frères, qui s’étaient arrêtés dans l’Épire ; eux, poussant plus loin, avaient passé les Alpes, pour s’établir dans les plaines du Pô ; ce sont les véritables ancêtres des Romains ; M. Helbig les étudie à leur entrée même dans la péninsule et sur le sol qui fut en Italie leur première étape. Ce qu’il y a de nouveau dans son travail, c’est qu’il ne se contente pas, comme on fait, d’observer les ossemens ou les détritus qui se trouvent dans la boue des terramares ; il s’est avisé de profiter de renseignemens dont on ne s’était pas encore assez servi. Le passage de la barbarie à la civilisation ne s’étant pas fait en un jour, il pense que le souvenir de ces âges primitifs ne s’est pas effacé non plus tout d’un coup, et qu’il doit en rester quelque trace dans les époques qui suivent. Il n’a pas de peine à en signaler dans Homère : ces prêtres du Jupiter de Dodone, les Selles, dont le poète nous dit a qu’ils ne se lavent pas les pieds et qu’ils couchent sur la terre, » on s’est souvent demandé ce qu’ils pouvaient être ; ne sont-ils pas simplement de ces conservateurs obstinés, comme on en trouve dans les associations sacerdotales, qui veulent à tout prix garder les anciens usages, et qui continuent à faire par dévotion ce que leurs pères faisaient par nécessité ? À Rome, où tous les régimes se sont fait gloire de rester fidèles au passé, nous voyons les souvenirs des temps les plus reculés persister jusqu’à la fin de l’empire. Quand les frères Arvales, sous le règne de l’empereur Gordien, faisaient tant de cérémonies avant d’introduire dans leur bois sacré un instrument de fer, ils ne se doutaient pas qu’ils exécutaient à la lettre un rite qui remontait à l’âge de bronze. M. Helbig a donc raison de croire que, parmi les usages des peuples civilisés, il y en a qui rappellent le temps où ils étaient encore barbares, et qu’il convient de profiter de la connaissance que nous avons des époques historiques pour arriver à mieux comprendre les temps antérieurs à l’histoire.

Mais, quelque intérêt que présentent ses travaux d’archéologie préhistorique, je n’ai pas l’intention de le suivre aujourd’hui sur ce terrain nouveau. Restons dans le domaine de l’art ancien, où il s’est complu si longtemps à rester lui-même. Ses ouvrages sur les peintures murales des villes campaniennes méritent d’être étudiés à part, et je serais heureux de faire partager au lecteur l’intérêt et le profit que j’ai trouvés à les lire.