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travail, de cumuler le plaisir matériel et le plaisir de l’esprit (conversations, jeux, etc.).

L’action de ces six moteurs, ressorts et leviers, est inséparable. Les ressorts sont causes, les leviers sont effets. Par leur action combinée, le problème du mécanisme passionnel est résolu. En effet, le jeu interne des passions est garanti. Toutes peuvent se donner essor sans se nuire les unes aux autres. Toutes les passions sensibles peuvent se donner carrière, car toutes sont utiles ; en même temps les passions affectives sont satisfaites par la formation des groupes, et les trois procédés signalés donnent satisfaction aux passions mécanisantes. Ainsi nous savons par quel moyen passer de l’attraction passionnelle à l’association, du principe à l’application. Il nous reste à expliquer dans ses lignes générales la seconde théorie de Fourier, son plan d’organisation du travail : c’est la partie la mieux connue de sa théorie.

Dans l’état actuel, le ménage, l’industrie, le commerce, l’agriculture, tout est morcelé. Chaque famille a son ménage, chaque commerçant sa boutique, chaque industriel son atelier, chaque cultivateur son champ. Chacun travaille isolément et jouit isolément. A cet ordre de choses qu’il appelle « l’ordre morcelé, » Fourier propose de substituer « l’ordre combiné, » c’est-à-dire l’exploitation et la consommation par association. Soient quatre cents familles qui, dans l’état actuel, ont quatre cents ménages différens : il s’agit de les réunir en un seul ménage, de substituer à quatre cents ateliers un seul atelier, subdivisé en groupes de fonctions; à quatre cents champs séparés, un seul territoire à exploiter en commun, et ainsi de suite. Il s’agit en un mot de transformer les salariés en coïntéressés et coassociés.

Telle est l’idée fondamentale de Fourier en matière d’organisation sociale. Il reconnaît que cette idée n’est pas de lui, et il fait honneur à quelques capitalistes, notamment à M. Cadet de Vaux, d’avoir compris l’immense économie de frais généraux que produirait ainsi la substitution d’une seule entreprise combinée à quatre cents entreprises morcelées. Mais, suivant lui, les avantages de l’association n’avaient été reconnus que dans l’intérêt du capital, et bien loin de profiter à tous, ce n’était encore là que le principe d’une nouvelle féodalité. Pour lui, il s’agissait non pas d’associer les capitaux, mais d’associer les familles, les ménages; c’est pourquoi il appelle son système : association domestique. On dit qu’il n’est pas possible de faire vivre d’accord trois ménages ensemble. Trois, non; mais quatre cents, oui; car la multiplicité produit les accords en même temps que les discords. La variété des goûts entretient l’intrigue nécessaire aux perfectionnemens de l’industrie,