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ma chère Aimée, de rire de tes éloges. J’ai le mérite d’exprimer ce que je pense sans la plus petite prétention. » Cet éloge de son éloquence lui était valu par un discours qu’il avait prononcé à une fête donnée par les Polonais en l’honneur de la bataille d’Auerstaedt, discours auquel les journaux du temps avaient fait une publicité qui lui avait fort déplu, « ayant beaucoup plus d’envie, dit-il dans cette même lettre, de servir de mon mieux l’empereur que de me voir cité dans des journaux quand ce n’est pas dans un bulletin.» S’il se plaisait ainsi à s’effacer, ce n’était pas par une étroite modestie, qui chez un tel homme aurait été faiblesse plus que vertu, c’était au contraire par une juste conscience de sa valeur qui, lui faisant trouver une bataille gagnée chose toute naturelle pour lui et allant de soi, le détournait de toute manifestation extérieure de contentement et de toute ivresse d’amour-propre. Cette légitime fierté lui fit détester toute sa vie les petits manèges politiques par lesquels les hommes se poussent en avant, se prônent eux-mêmes et mettent leurs services au-dessus de ceux de leurs rivaux : c’est aux hommes sans valeur, pensait-il et disait-il, à user de tels moyens ; mes actions parlent pour moi, et elles sont assez hautes pour que je n’aie pas à craindre qu’aucun rival indigne essaie d’y atteindre et d’en diminuer l’importance. Quant à se servir de ces actions pour écraser celles des autres, c’est un autre genre d’indignité dont se rendre coupable serait la preuve que la fortune s’est trompée en me fournissant des occasions de gloire que je ne méritais pas. Aussi, dans cette longue correspondance intime, ne surprend-on ni la plus légère jalousie des succès d’autrui, ni la plus petite impatience devant les lenteurs d’équité du souverain, ni le plus petit dépit devant la non-réalisation de ses espérances. « Il faut attendre, désirer même, les bienfaits de notre souverain, écrit-il à sa femme, et ne jamais murmurer lorsqu’ils n’arrivent pas aussitôt qu’on les souhaite. Il y a toujours autant de bonheur au moins que de justice lorsqu’on en est l’objet, car si votre amour-propre vous dit que vous les avez autant mérités que tel ou tel, la justice dit que mille autres les ont mérités au moins autant que vous, et ces mille autres cependant seront oubliés parce que la fortune n’aura pas fait connaître leurs services. » Nombre de grands capitaines ont proclamé que c’était à la fortune plutôt qu’à eux-mêmes qu’ils devaient leurs succès, mais avez-vous souvenir d’aucun qui ait fait cette confession avec plus de noblesse, d’une manière moins blessante pour l’égalité et avec un plus délicat sentiment du droit ?

A la fin d’une des lettres écrites après Auerstaedt, Davout parle des débris de la jactancieuse armée prussienne qu’il avait vaincue. Cette épithète robuste exprime admirablement le contraire de tout ce qu’il fut. Dans ces lettres intimes c’est à peine si un mot çà et là