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résultats, si admirée de tous les véritables juges en matière militaire, n’a jamais eu la popularité dont tant de batailles moins importantes restent entourées, et à quoi cela tient-il, sinon à la demi-obscurité que lui fit l’égoïste duplicité de Napoléon? Mais si notre peuple n’en a pas gardé un souvenir en rapport avec son importance, il n’en a pas été de même du peuple dont elle consomma la ruine. Une anecdote contemporaine, trop curieuse pour n’être pas citée, mais dont nous laissons la responsabilité à l’éditeur de ces documens, atteste la fidélité de la mémoire prussienne. Pendant son séjour à Paris, en 1867, l’empereur actuel d’Allemagne, visitant une après-midi la salle des maréchaux aux Tuileries en compagnie du maréchal C..., qui lui avait été donné pour cicérone, se complut à se faire nommer chacun de ces hommes de guerre à mesure qu’il s’arrêtait devant un buste nouveau. « Et celui-ci, quel est-il ? demanda le roi lorsqu’il fut arrivé devant le buste de notre héros. — Davout. — Et quel titre portait-il? — Il était prince d’Eckmühl. » Un silence, puis brusquement et d’une voix forte le roi foudroya son interlocuteur de ces paroles : « Il s’appelait aussi le duc d’Auerstaedt, la Prusse le sait. »

Ce déni de justice fut un coup très sensible pour Davout, non-seulement parce qu’il essayait de le frustrer d’une partie de sa gloire méritée, mais parce qu’il portait atteinte en même temps à l’idole qu’il s’était formée et qu’il avait adorée jusqu’alors avec une confiance qui est un modèle de la foi militaire parfaite. Nous nous sommes trop avancés en effet en disant que les lettres du maréchal Davout ne sont pleines que de sa femme et de l’amour qu’il ressent pour elle ; il y a dans cette correspondance une autre personne et un autre amour qui occupent au moins autant de place, la personne et l’amour de Napoléon. Cet amour fondé d’abord sur une admiration sans bornes va si loin qu’il lui fait identifier en Bonaparte patrie, civilisation et humanité. Il ne conçoit pas la France sans lui et la révolution autrement que par lui; c’est en lui que l’une et l’autre ont réellement la vie, le mouvement et l’être. Aussi quelles craintes lorsque quelque événement semble menacer ou menace en effet cette existence en qui tout se résume pour lui! Un jour une lettre de sa femme lui apporte l’histoire de l’homme en casaque rouge qui s’est dressé subitement devant le premier consul, — le fameux petit homme rouge de Béranger et de Henri Heine, — et aussitôt son imagination lui a présenté le spectacle de la France ressaisie par l’anarchie et du chaos renaissant. « L’histoire de cet habit rouge me fait encore frissonner, tu sais assez que ce n’est pas par intérêt. Pour moi je sais bien que je n’ai de salut que dans le premier consul; je n’en veux point chercher d’autre; mais l’impression que m’a faite ton récit n’a été que pour le consul. Que deviendrait