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vrais puisque tous se contredisent et qu’à l’instant même où l’un vous dit : bis repetita placent, l’autre vous rabâche : non bis in idem. Ce qui se passa au sujet du Dieu et la Bayadère confirmerait mon assertion, la chose plut, mais pour la plus grande gloire des virtuoses seulement; Nourrit, Mme Damoreau et Taglioni représentaient le dieu et les deux bayadères, dont l’une chante et l’autre danse, et certaine scène du second acte est restée comme témoignage de cet art merveilleux que Scribe et Auber possédaient de tirer parti de tous les avantages de la circonstance. Il y avait là un intermède où la voix de la Damoreau et la danse de Marie Taglioni luttant de souplesse, d’agilité, de fantaisie et d’ardeur intenses, vous rappelaient ces combats d’oiseaux entraînés qui ne se terminent que par la mort de l’un des concertans et quelquefois de tous les deux. Invitée à danser par l’étranger qu’elle adore, la belle Zoloé déploie tous ses talens et toute sa grâce (les talens et la grâce d’une Taglioni), et pendant ce temps, le dieu voulant éprouver sa jalousie, affecte de ne regarder et de n’écouter que sa compagne. Il fallait voir alors sur un de ces rythmes passionnés, sur un de ces motifs à toute volée comme Auber en savait trouver, — il fallait voir la pauvre victime s’enlever par bonds toujours plus hauts et plus douloureux jusqu’à sentir son cœur se briser et fondre en larmes! Et pourtant ce public, qui se laissait ravir ainsi, n’était ému qu’à fleur de peau. La muette, par occasion, a survécu, alors que personne aujourd’hui ne se soucie de cette Zoloé destinée, dans la pensée des auteurs, à reproduire le même effet dynamisé en quelque sorte, puisqu’il était voulu, qu’il avait Taglioni pour interprète et qu’il agissait par le double attrait de la pantomime et de la danse.

Quel maître que le hasard, et comme presque toujours ce qu’il nous aide à faire vaut mieux que ce que nous faisons sans lui! Supposons que le rôle de Fenella n’eût pas été conçu d’abord pour une cantatrice, ce rôle serait-il ce qu’il est dans l’organisme musical de la pièce? Au lieu d’y occuper simplement et modestement sa place, ne l’aurait-on pas vu empiéter sur l’ensemble, et du commencement à la fin prétendre accaparer tout l’intérêt comme il arrive en général lorsqu’il s’agit de montrer au public une étoile, et comme en particulier ce fut le cas pour ce personnage de Zoloé ? Le Dieu et la Bayadère, justement à cause de cette importance prédominante attribuée à la virtuosité d’une danseuse, ne fut jamais qu’un opéra-ballet, tandis que la Muette, où la pantomime tient une si grande place, a pris rang parmi les chefs-d’œuvre. Bien plus, l’esprit de discussion aidant, un jour ne devait pas tarder à naître, où ce qui, nous venons de le voir, n’avait été que pur hasard, serait