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Elle prononça ces mots avec une tristesse qui faisait deviner toute sa pensée; mais, comme elle ne permettait jamais un mot sur sa situation personnelle, je n’osai pas lui répondre de manière à lui prouver que je l’eusse comprise. « Au reste, me dit-elle en finissant, s’il y a une chance de raccommodement dans cette affaire, elle se trouvera dans l’empire que la douceur et les larmes de ma mère exercent sur Bonaparte; il faut les laisser à eux-mêmes, éviter de se trouver entre eux, et je vous conseille de ne point aller à Saint-Cloud, d’autant que Mme de *** vous a nommée et croit que vous donneriez des conseils violens. »

Et voilà, pour le dire en passant, comme il est assez souvent impossible d’être mieux comprise dans les cours, et comme des circonstances, puériles en apparence, nous mettent dans une évidence dont on n’est pas maître de se débarrasser.

Je demeurai deux jours sans me montrer à Saint-Cloud, pour suivre les avis de Mme Louis Bonaparte, et, le troisième, j’allai retrouver mon impératrice, dont le sort m’inquiétait profondément.

Elle était hors d’une partie de ses angoisses; ses larmes et sa soumission avaient en effet désarmé son mari; il n’était plus question de son courroux, ni de ce qui l’avait causé. Mais, après un tendre raccommodement, l’empereur venait de mettre sa femme dans une nouvelle agitation en lui montrant de quelle importance le divorce était pour lui. « Je n’ai pas le courage, lui disait-il, d’en prendre la dernière résolution, et si tu me montres trop d’affliction, si tu ne fais que m’obéir, je sens que je ne serai jamais assez fort pour t’obliger à me quitter, mais j’avoue que je désire beaucoup que tu saches te résigner à l’intérêt de ma politique, et que, toi-même, tu m’évites tous les embarras de cette pénible séparation. «En parlant ainsi, l’impératrice ajoutait qu’il avait répandu beaucoup de larmes. Tandis qu’elle me parlait, je me souviens encore que je concevais intérieurement pour elle le plan d’un grand et généreux sacrifice. Croyant alors le sort de la France irrévocablement attaché à celui de Napoléon, je pensais qu’il y aurait une véritable grandeur d’âme à se dévouer à tout ce qui devait l’affermir, et que si j’avais été la femme à qui on eût adressé un pareil discours, j’aurais été fortement tentée d’abandonner ce poste si brillant, où l’on ne me voyait qu’avec une sorte de regret, pour me retirer dans une solitude où j’aurais vécu paisiblement et satisfaite de mon sacrifice. Mais, en considérant le trouble dont les paroles impériales avaient laissé les traces sur le visage de Mme Bonaparte, je me rappelai ce que j’avais souvent entendu dire à ma mère : que pour donner un conseil utile, il fallait toujours le mesurer au caractère de la personne à qui on l’adressait. Je jugeai, en même temps, à l’effroi que la retraite inspirait