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donna une maison. Tout le reste de la cour jouait dans les autres salons. L’empereur se promenait partout, parlait à droite et à gauche, précédé de quelques chambellans qui annonçaient sa présence. Quand il approchait, il se faisait un grand silence, on demeurait sans bouger, les femmes se levaient et attendaient les paroles insignifiantes, et assez souvent peu obligeantes, qu’il allait leur adresser. Il ne se souvenait jamais d’un nom, et presque toujours la première question était « Comment vous appelez-vous? « Il n’y avait pas une femme qui ne fût charmée de le voir s’éloigner de la place où elle était.

Ceci me rappelle une assez jolie anecdote relative à Grétry. Comme membre de l’Institut, il se rendait assez souvent aux audiences du dimanche, et il était arrivé déjà plus d’une fois à l’empereur, qui s’était accoutumé à reconnaître son visage, de s’approcher de lui, presque machinalement, en lui demandant son nom. Un jour Grétry, fatigué de cette éternelle question et peut-être un peu blessé de n’avoir pas produit un souvenir plus durable, à l’instant où l’empereur lui disait avec la brusquerie ordinaire de son interrogation : « Et vous, qui êtes-vous donc? » Grétry répondit avec un peu d’impatience : « Sire, toujours Grétry. » Depuis ce temps, l’empereur le reconnut parfaitement.

L’impératrice, au contraire, avait une mémoire admirable pour les noms et les petites circonstances particulières de chacun.

Les cercles se passèrent longtemps comme je viens de le conter. Plus tard on y ajouta des concerts et des ballets, tels que ceux qu’on avait imaginés à l’occasion du couronnement, et ensuite des spectacles; je dirai tout cela dans son temps. Dans ces brillantes assemblées, l’empereur voulut qu’on donnât aux dames du palais des places particulières ; ces petites préséances excitèrent de petites humeurs qui enfantèrent de grandes haines, comme il arrive dans les cours. La vanité est toujours de toutes les faiblesses humaines celle qui reprend le plus vite son métier.

À cette époque, l’empereur ne s’épargna aucune cérémonie; il les aimait, surtout parce qu’elles faisaient partie de ses créations. Il les compliquait toujours un peu par sa précipitation naturelle, dont il avait peine à se défendre, et par la crainte extrême qu’on éprouvait que tout ne se fît point à sa fantaisie. Un jour, placé sur son trône, environné des grands officiers, des maréchaux et du sénat, il reçut les révérences de tous les préfets et de tous les présidens des collèges électoraux. Dans une seconde audience qu’il donna aux premiers, il leur recommanda fortement d’exécuter la conscription. « Sans elle, leur dit-il (et ces paroles furent insérées dans le Moniteur), il ne peut y avoir ni puissance, ni indépendance