Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

princes. Auber, bien autrement, s’entend à mettre en musique le langage des cours. Je prends comme exemple ce sujet de Gustave traité depuis par Verdi dans Un Ballo in maschera, une des plus vigoureuses partitions du maître italien. En tant que produit musical et chose spécifique, l’œuvre de Verdi l’emporterait peut-être sur l’opéra d’Auber ! Vous signalerez là du tempérament comme dans un mélodrame, du mouvement, de la passion, mais généralisée, brutale et flagrante, sans localisation ni caractéristique : adieu la nuance, le fin pastel ! la quantité supplée à la qualité, la pièce n’est pas rendue, ni les costumes, ni les portraits, tandis que chez Auber vous avez tout, jusqu’à l’œil de poudre. Alexis de Saint-Priest, dont l’information sur la littérature du grand siècle était impeccable, quand il vous lisait une tirade de Monime ou de Bérénice, ne manquait jamais de s’arrêter à certains passages où Racine, disait-il, avait marqué la place du coup d’éventail pour la Champmeslé. Cette observation me revient à propos des ouvrages d’Auber, et notamment de ce Gustave où je retrouve dans la façon d’être et l’attitude des personnages, dans leur manière de porter l’épée, de saluer, d’entrer et de sortir quelque chose d’aisé, de poli, de familier et de hautain qui n’appartient qu’à notre XVIIIe siècle; il y a, comment dirai-je ? le coup de chapeau ; ces gens-là savent vivre, et la langue qu’ils parlent en musique nous le fait voir : ce comme il faut, Scribe au théâtre ne l’eut jamais ; c’est que le style lui manque. Rêvez, inventez, combinez tant que vous voudrez, rien ne vit que par le style. Scribe a tout excepté tout, il sait trouver et ne sait point écrire. Vaudeville, drame, comédie, opéra, que n’a-t-il pas imaginé? Classique de nature et par éducation, il sera romantique demain si le romantisme fait recette, car dès que le public s’est amusé de l’anecdote mise en scène et qu’il ne redemande pas son argent, l’auteur dramatique a touché son but. Monarques et manans, hommes d’état et de finance, artistes, épiciers, charlatans, tous sont égaux devant sa plume; aussi facilement qu’il aura su tourner en pasquinade la fin tragique de Struensée, il va sur la chute de Marlborough vous composer une spirituelle comédie d’intrigue et travestir la mort de Pierre le Grand en un roman sentimental; le Verre d’eau, Bertrand et Raton, la Czarine, c’est toujours la même pièce avec d’autres noms, il ne voit dans l’histoire que le fait mesquin, le motif purement personnel, et s’il soulève le rideau étendu devant une catastrophe héroïque c’est avec l’étroite curiosité d’un valet de chambre épiant son maître. Son dialogue toujours incorrect a des idiotismes qui vous renversent. Dans Aérienne Lecouvreur par exemple, à cette question de l’abbé: « Je tiendrais à savoir quelle est sa passion régnante ? — l’interlocuteur répond : Je TE saurai