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vase. Elle s’animalise aussi en moi. Il n’y a de différence que dans les formes. »

C’est surtout dans certains êtres ambigus, comme les oscillaires, que le naturaliste hésite. Doit-il les classer parmi les algues ou parmi les zoophytes? Que dire, par exemple, de la plante aquatique appelée la tremella ? Adanson est le premier qui y ait aperçu un mouvement singulier, et cependant il refuse la vie et le sentiment à cette plante, et par conséquent l’animalité, et la laisse plante. Fontana, au contraire, en fait le passage du règne végétal au règne animal. Diderot, après une longue discussion, se range à cet avis. Pour lui il n’y a pas de doute. Ce mouvement singulier ne peut venir que d’une spontanéité qui caractérise la vie. Il dure tant que la plante vit. Sèche, la plante perd cette propriété; humide, elle la reprend; elle naît et meurt à discrétion. La tremella et ses fils sont en réalité des animaux sensibles et vivans ; elle porte déjà en elle le principe de la sensibilité. Biais voici un exemple plus caractéristique encore où l’on peut mieux juger, s’il est possible, de la continuité des êtres et de la contiguïté des règnes ; c’est l’histoire de cette plante (que M. Darwin a étudiée récemment et qui a été l’objet ici même d’une curieuse étude), la dionée[1]. Diderot en parle comme un disciple de Darwin et avec le sentiment juste de l’importance de ce fait, qui est des plus singuliers pour la science et des plus saisissans pour l’imagination. « Cette plante a ses feuilles étendues à terre, par paires et à charnières : ces feuilles sont couvertes de papilles. Si une mouche se pose sur la feuille, cette feuille et sa compagne se ferment comme l’huître; la plante sent et garde sa proie, la suce, et ne la rejette que quand elle est épuisée de suc. Voilà une plante presque carnivore. » Et Diderot suggère à ce propos une expérience aux naturalistes de l’avenir : « Je ne doute point, dit-il, que la dionée ne donnât à l’analyse de l’alcali volatil, produit caractéristique du règne animal. » Il ne néglige pas non plus les anthérozoïdes. — « On tire de l’alcali volatil du champignon; aussi sa graine est-elle douée d’une vie particulière : elle oscille dans l’eau, se meut, s’agite, évite les obstacles et semble balancer entre le règne animal et le règne végétal avant que de se fixer à celui-ci. » Donc pas de classification absolue entre les règnes et une indécision complète sur les limites qui les séparent. La transmutation est partout : d’abord entre les espèces, chaque espèce paraissant bien n’être qu’un développement du même type animal ou végétal, différencié par les circonstances; puis, entre les règnes, chaque règne se confondant avec celui qui le précède ou qui le suit par des générations équivoques. La chaîne des êtres ne s’interrompt

  1. Voyez, dans la Revue du 1er février 1876, le travail de M. Pranchon sur les Plantes carnivores.