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montés par quinze cents hommes, périr autour de lui. Ce ne fut qu’à grand’peine qu’il parvint à gagner, grâce aux efforts prodigieux de sa chiourme, le havre protecteur de Messine.

Le trésor royal cependant peu à peu s’épuisait. Les temples élevés aux dieux, les gymnases ouverts au peuple, les halles et les portiques qui rendaient de toutes parts témoignage de la sollicitude du tyran pour le bien-être de ceux dont il s’était cru autorisé à usurper les droits, achevaient ce que le coûteux entretien d’une armée permanente avait commencé; il fallait de toute nécessité détourner vers la source tarie quelque nouveau Pactole. L’expédient des confiscations n’était plus de saison; la foule nivelée n’offrait guère de prise à ce fisc aux abois. Denys songea, dit-on, à reprendre aux dieux de l’Épire et de la Tyrrhénie ce qu’il donnait avec excès aux dieux de la Sicile; le pillage d’un seul temple lui rapporta, si l’on en doit croire ses historiens, la somme considérable de 6 millions de francs. Je n’accueillerai cependant qu’avec une extrême réserve cette accusation de sacrilège. Que Denys, sous prétexte d’exterminer les pirates, ait lancé ses vaisseaux en course, je l’admettrai sans peine; qu’il ait fermé les yeux sur des déprédations dont ses alliés non moins que ses ennemis furent quelquefois victimes, je ne verrai rien là d’improbable; mais s’attaquer aux temples quand on a mérité la réputation de grand politique, voilà ce qui me semblera, jusqu’à nouvel ordre, très douteux. Denys avait un plus sûr moyen de s’enrichir. Ce moyen consistait à laisser se développer, sous l’égide de la paix intérieure, de la sécurité garantie au travail, les merveilleuses ressources agricoles de la Sicile. Le mit-il en pratique? J’en ai, je l’avouerai, quelque soupçon, bien que l’histoire ait jugé inutile de s’appesantir sur ce point. Sans un revenu assuré, il lui eût été impossible de faire face à tant de dépenses. Syracuse possédait deux flottes toujours prêtes à entrer en campagne, l’une retirée sous ses hangars, l’autre renfermée dans les bassins que Denys avait fait creuser, bassins qui pouvaient contenir, assure-t-on, deux cents trières. Deux amiraux, tous deux frères de Denys, Leptine et Théaride, commandèrent successivement les armées navales de la Sicile. Leptine trouva, en l’année 383 avant Jésus-Christ, une mort glorieuse sur le champ de bataille. Denys perdait en lui un vaillant capitaine; il n’en poursuivit pas avec moins d’énergie son œuvre. Sélinonte, Entoile, la ville fameuse d’Éryx tombèrent en son pouvoir. Les Carthaginois ne conservaient plus, pour descendre en Sicile, que le port de Lilybée, ce pied-à-terre de toutes les invasions, qui reçut des Arabes le nom de Marsala et dont Garibaldi a rajeuni en 1860 la mémoire. Denys assiégea Lilybée comme il avait assiégé Motye. Il s’en fût rendu maître si