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de la Pologne, il n’eut qu’à faire sonner le boute-selle pour voir la plus vaillante noblesse de l’Europe oublier ses divisions et accourir en armes au champ du conseil. Timoléon acceptait une tâche plus difficile. On lui donnait à sauver un peuple qui n’avait plus d’armée et dont le sol se montrait plus propre à enfanter des moissons que des soldats. Il y eut un moment où Denys le Jeune, entouré de ses affidés, régnait dans la citadelle de Syracuse, où Hicétas était maître des faubourgs, les Carthaginois en possession du grand port, Timoléon souverain dans la campagne. Celtes, Ibères, Liguriens, Grecs partagés entre tous les camps, s’abattaient en troupes, comme des nuées d’oiseaux voyageurs, sur la pauvre Sicile. L’île féconde nourrissait et dévorait tout. Carthage, à court d’argent, se lassa la première. Dans une dernière bataille livrée sur les bords du Crimèse, elle avait perdu 10,000 hommes, laissé 45,000 prisonniers et 200 chars aux mains du Corinthien; en l’année 339, elle traita. Timoléon venait d’achever sa tâche, — la tâche d’un guerrier. — Comment se fût-il acquitté de la mission bien autrement épineuse qui allait lui être dévolue? Par quel artifice fût-il parvenu à faire vivre en paix toutes ces cités rivales, toutes ces factions contraires, auxquelles le départ des armées de Carthage allait rendre le loisir de se déchirer? Je ne me chargerai pas de le pressentir, car le ciel épargna au héros triomphant la délicate épreuve; Timoléon mourut en l’an 337. Moissonné à temps, il descendit au tombeau avec toute sa gloire et les historiens s’accordèrent pour lui décerner le titre usurpé de pacificateur de la Sicile.

Celui qui pacifia réellement le malheureux royaume de Denys, ce fut un potier. Dépeuplée par la guerre et par les proscriptions, Syracuse plus d’une fois eût manqué d’habitans, si l’on n’eût pris soin de lui refaire, par des appels réitérés du dehors, une population. Timoléon, entre autres, y fit entrer jusqu’à 5,000 colons venus de Corinthe ; il accorda également le droit de cité à tous les Siciliens qui consentiraient à s’y établir. Le père d’Agathocle, Carcinus, originaire de Rhegium, avait été admis par les Carthaginois dans la ville qui fut bâtie non loin de l’emplacement et probablement à l’aide des ruines d’Himère. Cet Italien nomade profita de l’occasion pour transporter ses pénates et son industrie à Syracuse. Agathocle, son fils, était né avec toutes les qualités qui font les aventuriers heureux, et les temps étaient alors singulièrement propices aux aventures. Dès qu’il eut l’âge d’homme, il laissa là l’argile et la roue paternelles, pour courir après la fortune.

Dans quelles luttes obscures, par quelle succession d’intrigues et d’exploits arriva-t-il à se faire peu à peu sa place au sein d’une société troublée ? L’histoire ne nous le dit pas bien clairement. C’était