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généreuses quelques vues d’intérêt et de prosélytisme politique. Je pourrais demander si, dans le temps où nous sommes, ceux qui réclament avec le plus d’ardeur l’instruction obligatoire voudraient nous donner à croire qu’ils travaillent à la propagation des idées qu’ils détestent? Ceci serait nouveau dans le monde. Je me contenterai de demander si nous avons des opinions pour les garder ou pour les répandre? Poser la question, c’est l’avoir résolue. Ni la parole ne vaudrait la peine d’être parlée, ni l’instruction d’être distribuée, si la parole et l’enseignement n’étaient pas le légitime instrument de domination des intelligences et des âmes.

Aussi, pendant tout le XVIIIe siècle, voyons-nous les évêques travailler de toutes leurs forces à l’établissement des petites écoles. « Nous exhortons les curés, dit un évêque de Grenoble, de s’appliquer à l’établissement des petites écoles dans les paroisses, par toutes les voies que la charité leur inspirera, » L’évêque de Boulogne s’exprime en ces termes : « Convaincus que rien ne contribue davantage à former de bons chrétiens que la bonne éducation des enfans, nous croyons aussi que rien ne mérite plus notre attention et celle des curés que l’établissement des maîtres d’école... Nous désirons qu’il y en ait un dans chaque paroisse de notre diocèse, qui ait soin de tenir bonne école. » L’évêque de Dijon, moins verbeux, ne désire ni n’exhorte ; il ordonne : « s’il se trouve dans notre diocèse quelques paroisses qui soient sans recteur d’école, nous ordonnons aux curés et vicaires desdites paroisses de veiller à ce qu’il y en soit établi. » Ils vont plus loin. Le gouvernement de Louis XIV, depuis 1685, avait affecté les biens des consistoires protestans ou des religionnaires fugitifs « à l’établissement de recteurs ou de maîtres d’écoles » de préférence à toute autre affectation, et plutôt même « qu’à la réparation des églises. » Les évêques entrent volontiers dans cette pensée. «Inspirez, disent les statuts synodaux de Toul et de Châlons, inspirez à ceux qui veulent faire des fondations au profit de l’église, de les attribuer à cette bonne œuvre » de l’établissement des écoles. La Correspondance des intendans avec les contrôleurs généraux nous signale en effet, dans tel village de quatre-vingts feux et de trois cents âmes environ, des « fondations considérables » en faveur des écoles. On trouvera dans le livre de M. de Fontaine de Resbecq, pour la seule province de Flandre, une quantité considérable de ces «fondations.» Tantôt ce sont des nobles, comme en 1660[1], Louis de Croix, écuyer, seigneur de Gourguemez, qui donne un capital de 28,000 florins pour l’entretien et l’instruction de « 12 pauvres orphelins ; » tantôt c’est un prêtre comme en 1686 Denis Francquet, qui complète l’œuvre de Jean Lenglart, chanoine de Séclin, en « érigeant une école de filles en même forme de l’école de garçons présentement établie par les biens » de ce dernier; tantôt c’est une simple bourgeoise, comme en 1688 « Jeanne

  1. Quelques années, par conséquent, avant la réunion.