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Le ministère avait maintenu ou rétabli l’ordre partout où la tranquillité publique avait été menacée ; mais une politique prévoyante ; ne permettait pas de s’en tenir à des mesures purement répressives ; Quelques membres du cabinet persistaient néanmoins à penser que ce n’était pas au parti conservateur à prendre l’initiative d’une mesure de réforme et qu’il devait laisser à ses adversaires lA responsabilité de toucher à la représentation nationale : l’échec si récent de M. Gladstone autorisait tout au moins l’ajournement d’une question que tous les partis s’étaient essayés à résoudre sans y pouvoir réussir. D’autres étaient d’avis de prendre parmi les bills qui avaient avorté la mesure la moins large et la moins compliquée, et de la faire passer avec le concours de lord Grosvenor et des autres whigs. Cette satisfaction donnée à l’opinion publique suffirait pour faire tomber l’agitation factice que les radicaux avaient organisée, et dont la prolongation finirait par inquiéter et irriter les classes moyennes. M. Disraeli ne partageait ni les idées de temporisation des uns, ni les illusions des autres. A son avis, une question qui était agitée depuis quinze ans et qui avait déterminé la chute de deux cabinets ne pouvait plus être ajournée ; il fallait qu’elle fût résolue si l’on voulait qu’elle cessât d’être un brandon de discorde dans le pays et un obstacle insurmontable au succès de toute politique conservatrice. Ce ne serait pas la résoudre que de s’en tenir, comme avait fait lord Russell dans son premier bill, à un simple abaissement du cens, parce que tous ceux qui se trouveraient au-dessous de la limite légale réclameraient un nouvel abaissement ; et l’on serait ainsi conduit, par une pente irrésistible, au suffrage universel et à l’égalité des circonscriptions électorales, c’est-à-dire à la réalisation du programme des chartistes, devenu celui du parti radical : c’était là le danger qu’il fallait conjurer à tout prix. A son avis, il était indispensable non-seulement dans l’intérêt spécial du parti conservateur, mais dans l’intérêt même des institutions anglaises, d’en finir avec cette question, et ce résultat ne pouvait être obtenu qu’en donnant de larges satisfactions à l’opinion populaire. On ne pouvait se dissimuler que tout abaissement des conditions de l’électorat achèverait de rendre les classes inférieures absolument maîtresses des élections dans les grandes villes ; mais il n’y avait aucun moyen d’empêcher cet effet de se produire ; il fallait donc ne pas hésiter à faire la part du feu, et s’attacher à maintenir intacte la prépondérance dès élémens conservateurs dans les comtés et dans les villes d’importance secondaire. Le bill que lui-même avait présenté en 1859 atteignait ce but ; il fallait en conserver les bases : aussi bien c’était la seule mesure de réforme qui eût été considérée comme sérieuse par les adversaires mêmes du parti conservateur ; et plus d’un libéral, éclairé par l’expérience, en avait