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les conquêtes de la royauté, de la république et de l’empire. L’esclavage avait fait son temps et son œuvre. Condamné par la conscience humaine, il devenait en outre un obstacle à l’immigration. Le travail servile faisait une concurrence ruineuse au travail libre. L’esclave corrompait le maître ; on émancipa l’un en ruinant l’autre. Le sud cherchait à substituer ses vues particulières, son ambition personnelle au courant national qui entraînait la colonisation vers l’ouest, il perdit le pouvoir et dut subir à son tour la loi de ses adversaires.

Nous avons cherché dans une étude précédente à mettre ces faits en lumière, à montrer comment le parti du sud était amené, par le fait même de l’institution de l’esclavage, à détourner à son profit toutes les forces vives de l’Union et à la jeter hors de ses voies naturelles pour maintenir sa prépondérance dans le congrès. Nous nous proposons aujourd’hui d’examiner le mouvement de réaction qui se produit, d’étudier de près la dernière campagne électorale aux États-Unis et ses conséquences probables sur l’élection présidentielle de 1880.


I

Les dénominations diverses adoptées par les partis politiques aux États-Unis ne brillent pas généralement par la clarté ; toutes ou presque toutes ont besoin d’un commentaire pour que l’on sache au juste ce qu’elles représentent. Si, au début, on emprunta à la mère patrie les dénominations de whigs et de tories, on ne les garda pas longtemps, et le besoin d’innover, sur ce point comme sur beaucoup d’autres, ne tarda pas à créer une langue spéciale dont l’étymologie serait fort difficile à préciser. On peut admettre à la rigueur que le mot whig se compose des initiales de la phrase : we hope in God (nous espérons en Dieu) ; mais qui nous dira pourquoi les deux branches du parti démocrate s’affublèrent des noms de hard shells et soft shells (coquilles dures et coquilles molles), ou pourquoi les adversaires de l’immigration revendiquèrent le titre de know nothing (qui ne sait rien) ? Quant aux locos focos, qui jouèrent un rôle important, leur nom vient d’un incident qui se produisit à Tammany-Hall, quartier général du parti démocrate. Un soir qu’ils étaient en séance, leurs adversaires éteignirent soudainement les lumières. Il s’ensuivit un tumulte indescriptible qui ne prit fin que lorsqu’un des membres tirant de sa poche une boîte d’allumettes, alors appelées locos focos, ralluma les bougies. En ce qui concerne les kuklux, les hunkers, les grangers, ils seraient assez embarrassés d’expliquer ces noms bizarres. Laissant de côté ces dénominations, nous nous bornerons à faire connaître dans leurs