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greenbacks, de l’autre la grande quantité de numéraire fictif ainsi mis en circulation favorisait outre mesure la spéculation et créait une aisance factice. La dépréciation des billets surélevait le prix des achats et celui des salaires. La main-d’œuvre paraissait plus payée sans l’être en réalité, mais, comme peu à peu le papier-monnaie relevait ses cours et tendait à se rapprocher du pair, il en résultait un bénéfice réel pour l’ouvrier, le fermier, l’artisan, pour tous ceux enfin, et c’est le plus grand nombre, qui vivaient de leur travail quotidien. Le spéculateur y trouvait également son compte. Les banques regorgeaient de greenbacks et prêtaient à taux réduits. A l’abri d’un tarif protectionniste, on créait partout des usines, des manufactures, usant d’un crédit facile et d’une circulation abondante.

Il fallait pourtant bien en revenir un jour ou l’autre à de plus justes notions, et le gouvernement, désireux de rentrer dans les voies normales, poursuivait son but, qui était le retrait du papier et la reprise des paiemens en espèces. Si ménagées qu’elles soient, ces transitions ne sont ni sans difficulté ni sans danger. A mesure que l’on se rapprochait du terme prévu, le crédit se resserrait, le papier-monnaie devenait plus rare ; avec la cause l’effet disparaissait, et l’on se trouvait en présence d’une circulation restreinte qui contrastait avec l’abondance des années précédentes. Or, l’on s’expliquait mal une gêne qui coïncidait avec la fin des troubles et une prospérité matérielle apparente. La misère gagnait peu à peu, et, pour la première fois, on voyait des immigrans découragés retourner en Europe pour y chercher le travail qu’ils ne trouvaient pas aux États-Unis. En Californie, l’invasion chinoise provoquait des troubles sérieux et laissait sans emploi les Irlandais et les Allemands. Elle s’étendait vers l’est. Les grandes manufactures de chaussures de l’état de Massachussets congédiaient leurs ouvriers de race blanche pour appeler des Chinois à prendre leur place. La première tentative faite en 1870 avait réussi ; depuis, leur nombre augmentait constamment. L’exemple donné par les fabricans de North Adams, les résultats obtenus éveillaient l’attention, et nombre de manufacturiers réduisaient les salaires, bien décidés, en cas de grève, à substituer l’ouvrier asiatique à l’ouvrier européen plus exigeant et moins docile.

Le parti socialiste ne restait pas inactif. C’est aux époques de misère qu’il recrute ses adhérens et qu’il cherche dans l’excès du malaise général les moyens de conquérir le pouvoir et d’appliquer ses formules. Aux États-Unis, comme en Europe, il croit ou feint de croire à leur efficacité et à la toute puissance de l’état, incarnation de la divinité, pouvant tout, même l’impossible, capable de décréter l’abondance et la prospérité, mais ne sachant pas ou