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raisons pour qu’on en parle. Ceux qui s’inquiètent outre mesure du langage alarmiste tenu par les journaux officieux de Berlin ou de Cologne devraient faire la réflexion bien simple que voici. Le septennat militaire expire l’an prochain, le budget de la guerre avait été voté pour sept ans, le Reichstag sera appelé à le voter de nouveau dans quelques mois, et pour former une majorité compacte, résolue à repousser toutes les réductions réclamées par les contribuables et à consentir à toutes les augmentations désirées par le gouvernement, il convient de persuader à l’Allemagne qu’on nourrit contre elle à Saint-Pétersbourg les plus noirs desseins, que sa sécurité est compromise, qu’un grand danger la menace, que sa frontière de l’est est insuffisamment armée.

La politique de l’épouvantail est très utile pour délier les cordons de bourse. Jusqu’aujourd’hui c’étaient la France et ses prétendus projets de revanche qui en faisaient les frais. Grâce à sa conduite éminemment correcte, le cabinet français ne peut plus être soupçonné de menées ténébreuses, et les accusations qu’on porterait contre sa bonne foi trouveraient peu de créance. On lui rend justice à Berlin, on s’y loue de ses honnêtes procédés et de sa modestie. Il a eu le mérite de ne pas se renfermer dans une abstention chagrine et boudeuse ; il n’a pas dit : Je me recueille. Il s’est prêté de bonne grâce à se mêler des questions sur lesquelles on lui demandait son avis. Il a laissé à d’autres les vastes combinaisons, l’amour des entreprises ; il a réservé tout son empressement, tous ses soins pour les affaires qui ne tirent pas à conséquence, il s’occupe de faire un peu de police en Égypte, d’arrondir la Grèce, d’assurer un sort meilleur aux juifs de la Roumanie. Les diplomates qu’on met à la retraite avant le temps amusent leurs loisirs à collectionner des médailles ou des gravures, d’autres s’adonnent à la culture des roses. Le gouvernement français, en se retirant des grandes affaires de l’Europe, s’est consacré tout entier à la culture des questions innocentes. A vrai dire, elles ont leurs épines, comme les roses : il y en a partout.

L’épouvantail aujourd’hui n’est plus la France, c’est la Russie. On affirme à Berlin et ailleurs que le parti national et les panslavistes ont amassé dans leur cœur des trésors de haine, qu’ils ont juré d’en découdre avec l’Allemagne, que l’empereur Alexandre et le prince Gortchakof ne sont plus maîtres des passions qu’ils ont imprudemment attisées. On a appris de bonne source que la Russie se livre à des arméniens formidables, qu’elle augmente son armée de quatre cent mille hommes, qu’elle a créé de nouveaux cadres suffisans pour mettre sur pied vingt-quatre nouvelles divisions, qu’elle a posté en Pologne des masses effrayantes de cavalerie, qui en trois jours pourraient passer la frontière. Les Russes, ajoutent ces nouvellistes bien informés, ont découvert que c’est