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opérations de la chambre prussienne vont donner la mesure de la victoire des influences conservatrices, de la force respective des groupes parlementaires qui se retrouvent en présence. En Angleterre, tout semble s’acheminer vers des élections dont la date n’est pas fixée, mais que les partis considèrent désormais comme prochaines, au moins comme possibles d’ici à peu et pour lesquelles ils se préparent. Au-dessus ou en dehors de ces faits propres à chaque pays cependant, il reste toujours la vraie et grande question européenne qui intéresse tout le monde, cette question de l’alliance qui aurait été nouée entre l’Allemagne et l’Autriche, que M. de Bismarck, dans son dernier voyage à Vienne, aurait décidée ou enlevée. Sur ce point, dans tous les pays, les esprits sont en éveil, et comme ni M. de Bismarck, ni le comte Andrassy n’ont cru devoir jusqu’ici dire leur secret, les commentaires, les conjectures se succèdent, se croisent d’un bout à l’autre de l’Europe. C’est l’éternelle histoire : on ne sait rien et on suppose, tout ; on procède par des séries d’hypothèses et d’interrogations.

L’alliance, puisque alliance il y a, serait-elle d’un tel ordre qu’elle affecterait dès ce moment un caractère défensif et offensif, qu’elle confondrait les intérêts, les forces des deux empires ? Sous quelle forme aurait-elle été conclue ? Est-ce une entente générale convenue entre ministres, un simple protocole de chancellerie, programme élastique d’accords futurs et éventuels ? Y a-t-il plus que cela, un traité entre souverains, un acte auquel, ainsi qu’on l’a raconté, l’empereur Guillaume ne se serait résigné qu’avec peine, en se souvenant de ses vieux liens avec son impérial neveu de Russie, qu’il n’aurait consenti à sanctionner que pour ne pas désavouer son chancelier ? Contre qui enfin et en vue de quelle éventualité plus ou moins imminente cette alliance serait-elle formée ? Voilà bien des questions qui restent obscures et indécises même après les éclaircissemens et les récits de toute sorte qui courent le monde depuis quelques jours, même après les paroles d’un ministre de Berlin, M. de Puttkammer, qui, dans un banquet à Essen, aurait semblé avouer l’importance de ce qui vient de se passer à Vienne. Assurément M. de Bismarck est un diplomate de l’ordre positif qui ne fait rien pour rien ; c’est aussi un grand acteur qui ne dédaigne pas les coups de théâtre quand il croit en tirer profit. Il n’est point impossible que dans ce voyage de Vienne qui a déjà tant fait parler, il y ait, à côté de quelques résultats réels, la part de l’ostentation, d’une ostentation calculée. Qu’une entente plus ou moins explicite ait pu s’établir sur certains points de politique générale et que cet accord des deux empires du centre de l’Europe soit par lui-même un événement de quelque gravité fait pour donner à réfléchir, cela n’est point douteux. Au bout du compte, ces prétendues alliances qui ont l’air de tout régler, de décider des destinées diplomatiques de l’Europe, ont assez souvent l’inconvénient d’être des combinaisons très problématiques et de n’être que de