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tous, il est nécessaire qu’ils la prennent eux-mêmes au sérieux. Rien n’amène plus vite le discrédit et la ruine d’une institution que la fausse application qui en est faite. On a vu plus haut comment fonctionne cette constitution depuis 1876. Le moment nous semble venu pour le parti républicain, que le pays a mis en pleine et sûre possession du pouvoir, de se recueillie et de se demander si ce qu’il y a de mieux à faire pour la paix et la sécurité du pays, ainsi que pour le salut de la république, n’est pas de conserver la constitution votée par l’assemblée nationale. Si, après mûr examen, il la regarde comme une œuvre réactionnaire, qui n’est bonne qu’à entraver la marche et les progrès de la démocratie, nous estimons qu’il se trompe gravement, et qu’il voit l’obstacle là où est le salut pour la démocratie, telle que nous l’entendons. La constitution actuelle, prise dans sa lettre et dans son esprit, est toujours la démocratie, puisque tous les pouvoirs qu’elle a institués, chambre des députés, sénat, présidence, ont pour origine commune le suffrage universel, direct ou indirect ; mais c’est la démocratie tempérée par des institutions qui en règlent et en modèrent l’essor. La division des pouvoirs, l’élection sénatoriale par des conseillers du département et de l’arrondissement avec l’adjonction des délégués communaux, le droit de dissolution accordé au président sur l’avis du sénat ; toutes ces dispositions sont autant de garanties contre les entraînemens d’une démocratie à outrance. Le parti républicain juge-t-il que les choses iront mieux pour la république et le pays, une fois que ces garanties et d’autres encore auront disparu, ainsi que le pensent M. Louis Blanc et ses amis ? Alors qu’il avise et procède le plus tôt possible à une réforme radicale de la constitution. C’est une grave expérience qu’il tentera, et qui pourrait bien ne pas tourner à l’avantage de la république. Mais cela vaudrait encore mieux que de conserver la constitution en la faussant. Nous aurions au moins une constitution et un gouvernement. Sera-ce une nouvelle convention de 1793, ou bien une autre édition de l’assemblée nationale de 1871 ? Cela dépendra du rôle prépondérant de la démocratie urbaine, ou de la démocratie rurale, et peut-être aussi de l’attitude de la démocratie parisienne, qui pourrait bien n’avoir pas dit son dernier mot ? Si le parti républicain tient au contraire au maintien à peu près intégral de la constitution, comme nous l’espérons, il est temps qu’il l’affirme, non pas seulement dans ses paroles, mais surtout dans ses actes. Il faut qu’il la pratique sérieusement, qu’il la respecte et l’observe dans toutes ses parties, sans encourager l’initiative révolutionnaire de ses ardens amis, ni laisser suspendre sur la tête de cette pauvre victime la menace d’une révision plus ou moins prochaine.