Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/275

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

individus vont se perdre et se fondre dans le grand foyer des idées et des sentimens communs. Qu’on nous par le de cette discipline de la parole publique, et non de la discipline du mot d’ordre donné et reçu dans l’ombre et le silence. Et si l’on nous demande comment cette union pourra se maintenir, nous répondrons : par les mêmes moyens qui auront servi à l’établir. La parole publique suffit à resserrer les liens que la parole publique a réussi à former. Et qu’on ne vienne pas nous dire que nul parti ne résiste à une pareille épreuve. Quand les dissidences touchent aux principes de conduite et au fond des choses, il faut s’expliquer, et, si l’on ne parvient pas à s’entendre, se séparer. Il le faut pour l’honneur des principes, la dignité des personnes, l’intérêt du pays. Que si ces dissidences ne tiennent qu’à des questions d’ordre secondaire, chacun doit se souvenir alors qu’il est membre d’un parti dont l’union importe au gouvernement parlementaire. En cela, comme en toute chose, il y a une mesure à garder. Tout sacrifier à l’union mène à la servitude ; mais n’y rien sacrifier conduit à l’anarchie. L’histoire des parlemens est là pour nous instruire. N’a-t-on pas vu, en Angleterre, Burke, Robert Peel, Palmerston, et récemment lord Derby, en France Chateaubriand, de Serre, Camille Jordan, quitter leurs amis en emportant leurs malédictions ? Et combien de fois Thiers n’a-t-il pas changé de parti, sans jamais changer de politique, toujours fidèle à ses idées qu’il savait faire accepter par ses nouveaux amis ?

En voyant avec tristesse le parti républicain s’engager dans une politique qui n’est guère propre à établir cet accord des esprits et cette union des cœurs dont notre pays a tant besoin, nous nous demandons s’il a bien compris la véritable raison d’être de la république de 1870, que la France a si franchement et si pleinement acceptée. Cette France alors accablée a espéré que la troisième république n’aurait rien de commun avec la première, qu’elle serait le gouvernement de tous, et non d’un parti, qu’elle resterait ouverte à toutes les bonnes volontés, à toutes les capacités, à tous les services éprouvés, qu’elle referait la véritable unité nationale, sous le drapeau de la patrie, sous le régime de l’ordre et.de la liberté. Quand la république s’est relevée tout à coup sur les ruines de l’empire succombant sous le poids de nos désastres, le gouvernement de la défense nationale a-t-il eu une autre pensée, une autre volonté que celle de réunir dans un commun effort tous les dévouements, quelle qu’en fût l’origine ? Et le gouvernement de la délégation de Tours, son jeune chef en tête, n’a-t-il pas fait appel lui-même au patriotisme de tous les partis, comme de toutes les classes du pays ? M. Gambetta ne nous contredira pas si nous lui rappelons que c’est avec regret que, sur les instances d’amis