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pas autre chose. Au bout de quelques jours l’abondance, que depuis longtemps Syracuse ne connaissait plus, régna dans la cité ; les campagnes seules continuaient de souffrir encore. Leptine reçut l’ordre d’aller offrir le combat aux Agrigentins et aux exilés que l’imminence du péril mettait pour un instant d’accord. Les vieilles bandes de Syracuse dispersèrent sans peine ce rassemblement.

La Sicile était pacifiée, et cependant Agathocle différait encore son départ. Des sacrifices aux dieux, des banquets à ses amis, des supplices à ses adversaires, il ne lui fallait pas moins pour consacrer et sceller son triomphe. Enfin, il s’embarqua et alla rejoindre en Libye l’armée d’Archagathus. Tout était bien changé sur le théâtre de son ancienne gloire. Une trouva plus que des soldats affamés, en haillons, des soldats sourds aux ordres de leurs chefs. « Vous m’avez appelé, leur dit-il, me voici ! Êtes-vous prêts à me suivre ? Je vais vous conduire sur-le-champ à l’ennemi ; on ne sort de la situation où vous êtes que par la victoire. » Une acclamation unanime répond à ce bref discours. Les soldats brandissant leurs armes courent se ranger d’eux-mêmes en bataille. Il restait encore six mille Grecs, un nombre presque égal de Celtes, de Samnites, de Tyrrhéniens, dix mille Libyens et quinze cents cavaliers. La fidélité des Libyens était plus que douteuse. Les forces considérables que Carthage avait rassemblées pendant l’absence d’Agathocle leur faisaient assez prévoir de quel côté pencherait la fortune, et il ne faut pas demander à des alliés de la veille de servir avec grand élan une cause qui tourne mal. Le combat s’engagea néanmoins, les plus héroïques efforts ne purent assurer la victoire au parti le moins nombreux. Agathocle fut battu. Dès lors il ne s’agissait plus de conquérir la Libye ; ce serait déjà beaucoup si l’on parvenait à sauver la Sicile. Les moyens de transport manquaient pour emmener les troupes. Agathocle résolut de s’embarquer secrètement avec quelques amis et avec son plus jeune fils, Héraclide. L’apparente défection du général n’était, à tout prendre, dans cette occasion que l’impérieux devoir du souverain. Allez donc faire comprendre cette subtile distinction à des soldas ! Quand l’armée apprit le départ clandestin de son chef, sa consternation et sa rage furent portées au comble. Elle courut aux tentes d’Archagathus et des principaux officiers, massacra tous ceux qu’elle soupçonnait d’avoir favorisé la fuite d’Agathocle et se hâta d’élire de nouveaux généraux. Carthage, encore émue de la redoutable invasion qui l’avait mise à deux doigts de sa perte, préparait heureusement à ces troupes mutinées un pont d’or. Elle offrit aux soldats pour qu’ils missent bas les armes 1,650,000 francs. Ceux qui voulurent entrer à son service furent enrôlés, aux conditions magnifiques que Carthage