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une jeune femme qu’il avait connue dans son enfance, et cette femme était mariée à un de ses amis. On conçoit qu’avec le caractère noble et droit du peintre, une telle liaison devait être une souffrance de tous les instans. Partagé entre sa passion et ses remords, Géricault n’avait pas le courage de rompre, et il n’avait pas non plus l’insouciance de goûter en paix les joies de son coupable amour. Cette liaison, qui eut une influence fatale sur toute la vie de Géricault, explique son existence fantasque, inquiète, tourmentée, pleine d’angoisses et de douleurs.


II

Géricault, ne trouvant même plus de consolation dans le travail, crut qu’un changement d’existence ferait diversion à ses peines. Durant la première restauration, il s’engagea aux mousquetaires rouges. Le 20 mars 1815, le nouveau mousquetaire, indigné des défections qui se produisaient autour du roi, partit avec Louis XVIII pour Gand ; il n’en revint que trois mois plus tard, avec la maison militaire. Nous apprécions, comme le fait M. Ch. Clément, les sentimens de fidélité qui poussèrent Géricault à suivre son roi dans la mauvaise fortune ; mais nous aimerions mieux, pour la mémoire du peintre du Chasseur et du Cuirassier, avoir à raconter, au lieu de cette expédition à Gand, la campagne qu’il aurait pu faire en 1814 dans les gardes d’honneur, ou plus simplement son enrôlement dans la garde nationale parisienne à l’approche des armées de la coalition. Un des meilleurs amis de Géricault, Horace Vernet, qui combattit vaillamment contre les Prussiens de Blucher à la barrière de Clichy, lui avait donné cet exemple. D’ailleurs Géricault ne resta pas longtemps aux mousquetaires. Peu de mois après le retour à Paris, il prit son congé. La vie de garnison, à Versailles, ne suffisait pas à lui faire oublier ses chagrins. Il y chercha une nouvelle diversion dans le voyage ; il partit pour Rome. Devant les fresques de la chapelle Sixtine, il éprouva une sorte de stupeur : « J’ai tremblé, disait-il ; j’ai douté de moi-même et j’ai été bien longtemps à me remettre de mon trouble. » Quoiqu’il se trouvât à Rome dans le monde des chefs-d’œuvre, dans la véritable patrie de l’artiste, Géricault ne tarda pas à s’en lasser. Sa pensée et son cœur n’étaient pas là. Il se remit pourtant au travail, mais par accès et avec de longs intervalles de paresse. Il fit quelques copies d’après Michel-Ange et Raphaël, et il peignit plusieurs esquisses pour la Course des chevaux libres : tableau qui eût peut-être été son chef-d’œuvre, mais qui ne fut jamais fait.

On connaît cette course des Barberi qui a lieu pendant le carnaval de Rome. Une vingtaine de petits chevaux barbes, à demi