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mant à brève échéance l’accomplissement des réformes promises dans l’Asie-Mineure, et à l’appui de cet ultimatum, il a menacé d’appeler dans les eaux turques l’escadre anglaise stationnée à Malte sous les ordres de l’amiral Hornby. Cela s’est fait presque à l’improviste, du moins de façon à étonner l’opinion européenne, et dans une sorte d’obscurité. La négociation ainsi engagée à Constantinople n’a pas tardé à revenir à Londres, et une entrevue toute récente que le représentant du sultan, Musurus-Pacha, a eue avec lord Salisbury aurait eu pour premier effet de suspendre le mouvement de l’escadre anglaise vers les eaux de Vourla ; mais rien n’est terminé ; ce n’est qu’une trêve. Il s’agit toujours de savoir si, comme l’a demandé, dit-on, M. Layard, l’Angleterre obtiendra, à titre de garantie, la nomination d’un Anglais, Baker-Pacha, comme chef des forces militaires à Erzeroum, l’admission d’un certain nombre d’agens anglais dans les services chargés de l’exécution des réformés en Asie-Mineure, et il s’agit peut-être avant tout de savoir si le sultan consentira, pour première satisfaction, à livrer les ministres qu’il a récemment nommés. La crise reste ouverte, elle n’est certainement pas sans gravité.

C’est là cependant une situation assez étrange, car si l’Angleterre peut invoquer, pour une action spéciale, la convention du 4 juin 1878, qui, en lui livrant Chypre, lui donne une sorte de protectorat en Asie-Mineure, les conventions de Berlin et les stipulations survivantes des anciens traités font toujours de ce qui reste de l’indépendance et de l’intégrité de l’empire ottoman un intérêt européen. Il en résulterait que tout ce qui touche à l’existence de ce malheureux empire, et les réformes ont ce caractère, reste une affaire européenne soumise à la juridiction collective de toutes les puissances. Pour que l’Angleterre, sans tenir compte de ce droit général, simplement armée de la convention du 4 juin, ait cru devoir engager si précipitamment une action spéciale, elle aurait donc eu quelque raison particulière et pressante ! Cette raison, où est-elle ? On ne peut certes pas admettre sérieusement que le cabinet de Londres ait voulu préluder par un coup vigoureux de politique extérieure à la dissolution du parlement et que l’ultimatum de M. Layard soit une manœuvre électorale. Les lenteurs que le cabinet turc peut mettre dans l’accomplissement des réformes qu’on lui demande ne sont pas une raison bien nouvelle et suffisamment déterminante pour de si graves résolutions. Que reste-t-il donc ? Lorsque lord Beaconsfield, sans s’expliquer plus clairement, a laissé entendre l’autre jour au banquet du lord-maire qu’il y avait des cas où une guerre pouvait être inévitable, de quelle guerre a-t-il voulu parler ? Est-ce que les relations de l’Angleterre avec la Russie, particulièrement dans l’Asie centrale, aux frontières de l’Afghanistan, auraient pris un tel caractère que le cabinet anglais aurait cru devoir dès ce moment faire un pas décisif et prendre position dans l’Asie-Mineure ? L’ultima-