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Prague : pendant que son armée commençait à se réunir autour et près de cette ville, l’avant-garde occupait les cercles de Saaz et de Leitmeritz. Le comte de Bubna était arrivé au quartier général de Napoléon.

J’étais convaincu que la perte d’une seule bataille compromettrait tout si nous commencions la guerre sans avoir rassemblé des forces suffisantes pour pouvoir tenir la campagne à nous seuls ; on ne pouvait guère compter, en effet, sur l’armée russe, mal organisée et démoralisée, ni sur l’armée prussienne, qui n’existait que de nom. Il s’agissait donc d’empêcher Napoléon de suivre sa tactique habituelle, c’est-à-dire de se tourner vers la Bohême en laissant un simple corps d’observation devant les armées alliées, afin de frapper contre nous un grand coup dont les suites auraient été incalculables pour l’Autriche, si l’on songe au découragement qui accablait alors l’immense majorité de nos peuples. Je proposai à l’empereur de partir le lendemain pour se rendre au point le plus central, entre Dresde et le quartier-général des deux souverains alliés. Nous cherchâmes sur la carte, et Gitschin nous parut être le point désiré. Sa majesté se décida à partir le surlendemain ; quant à moi, j’expédiai sur-le-champ deux courriers, l’un à Dresde et l’autre en Silésie. Le premier remit au comte de Bubna l’ordre de presser Napoléon d’accepter la médiation offerte par l’Autriche. L’autre allait annoncer que l’empereur rejoindrait l’armée sous peu. L’effet de ces mesures, ou plutôt le seul fait de l’arrivée de sa majesté au quartier-général, me semblait devoir être décisif, et il le fut.

Le 1er juin, à cinq heures du matin, l’empereur quitta Vienne avec une suite peu nombreuse. Le lendemain, nous rencontrâmes, près de Czaslau, le comte de Nesselrode, que l’empereur Alexandre avait dépêché pour demander à l’Autriche de prendre une prompte résolution. Nesselrode m’apportait une copie de l’armistice signé à Poischewitz. L’empereur François chargea l’envoyé du tzar d’une mission fort simple. Il lui dit : « Retournez sur vos pas, et informez l’empereur votre maître ainsi que le roi de Prusse que vous m’avez trouvé en route pour aller en Bohême rejoindre le quartier général de mon armée. Je prie le tzar de vouloir bien me désigner un point de la frontière de Bohême et de Silésie, où je puisse envoyer mon ministre des affaires étrangères pour lui communiquer mes résolutions. »

Des propositions de médiation avaient été envoyées à Dresde par l’entremise du comte de Bubna. Napoléon espérait battre encore une fois les armées russe et prussienne, et il comptait sur l’effet que produirait une nouvelle défaite sur l’esprit des deux souverains et sur leurs armées, aussi bien que sur l’Autriche elle-même ; il