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ce cerveau, que les méditations de l’exil avaient préparé au pouvoir, mais aussi aux aventures.

Déjà, pendant les négociations pour la conclusion de la paix, l’empereur avait offert à l’Autriche les Principautés danubiennes. Ses ouvertures ayant été immédiatement déclinées par la cour de Vienne, les pourparlers ne furent pas poussés bien loin, de telle sorte que Napoléon III n’eut probablement pas l’occasion de développer dans toutes ses parties le plan dont cette proposition n’était que le premier chapitre. Toutefois il n’existe plus guère de doutes aujourd’hui sur le but qu’il se proposait. Il ne voulait pas seulement opposer l’Autriche à la Russie dans l’orient de l’Europe, comme M. de Bismarck cherche à le faire en ce moment, il visait en outre à résoudre tout à la fois la question polonaise et la question italienne. C’est lui-même qui a fait plus tard cette confidence à lord Cowley et à lord Clarendon dans deux conversations rapportées par M. Martin. La déception causée par le refus du cabinet de Vienne paraît avoir été assez cuisante : elle fut suivie d’une brusque évolution de la politique française. On se tourna du côté de la Russie, qui, trop heureuse de sortir de son isolement, n’eut garde de repousser les avances qui lui étaient faites. L’empereur, après avoir été si près de donner les Principautés danubiennes à l’Autriche, s’était épris tout à coup d’un goût très vif pour l’indépendance de ces pays : il ne songeait plus qu’à les unir, à les fortifier, à les régénérer. La Russie était toute disposée à entrer dans cette voie. Le difficile était d’y entraîner l’Angleterre : car Napoléon III voulait bien rompre avec Vienne, mais point du tout avec Londres, ainsi que le prouve une lettre, en date du 18 mai 1857, adressée par lord Clarendon au prince Albert :


Je crois, comme votre altesse royale, que nous devons surveiller de très près l’empereur ; car je ne fais pas doute qu’il ne roule dans sa tête une foule de projets bizarres et qu’il ne rêve de s’immortaliser par une reconstitution de l’Europe… Il a, je ne sais pourquoi, une vieille hostilité contre l’Autriche, et il m’a proposé à Paris une alliance intime, à l’exclusion de cette puissance, entre la France, l’Angleterre et la Russie.


Le prince Albert connaissait bien le secret du mécontentement de l’empereur contre l’Autriche. Le 16 mai, il écrivait à son plus intime confident, le baron Stockmar : « A Paris, on est très monté contre nous et encore plus contre l’Autriche. Pour des remaniemens territoriaux, nous sommes des alliés gênans. L’Autriche surtout, par suite de sa situation en Italie et de son parti pris de ne pas laisser enlever les Principautés à la Turquie, est forcément